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maison de bois d’un viking, au milieu des tourbières du district de Kjorring, sur la pointe du Skagen, en Jutland, et s’en allant, aux approches de l’hiver, nicher en Égypte, dans les ruines d’un ancien palais des Pharaons… Ou je me trompe fort, ou ce détail a dû contribuer pour une large part au choix d’un conte si bien fait pour séduire un artiste dont le singulier mérite est d’essayer sa manière de voir et de sentir sur les spectacles changeants du vaste monde.

Depuis le jour déjà lointain où Lunois, lithographe et boursier de voyage, quitta Paris pour la première fois, à destination de la Hollande, et depuis qu’il délaissa, bientôt après, la Hollande pour l’Algérie et l’Espagne, sa vie a été coupée de migrations presque régulières ; dans le temps qu’il désertait Paris, et pareillement les Salons, ses amis étaient seuls à savoir que quelques semaines de passage en France alternaient pour lui avec des mois de séjour en Andalousie ou dans le Sud oranais. La dernière fois qu’il revint du désert, on l’a déjà dit ici-même[1], ce ne fut point pour s’arrêter à Paris : il poursuivit sa course et remonta très haut vers le nord, jusqu’en Suède et en Norvège ; et la moisson qu’il rapporta de ces pays du soleil pâle valait bien celle qu’il avait récoltée aux pays des fêtes du soleil.

Cette fugue septentrionale appelait nécessairement une contre-partie. Au retour, le peintre-voyageur, repris par la nostalgie de l’Orient, ne tarda pas à rêver d’une longue course à travers des régions nouvelles : Égypte, Grèce ou Turquie ; il termina promptement ses travaux en cours, et puis il s’embarqua. C’était écrit…

Quand on questionne Alexandre Lunois sur le pays où il a vécu ses heures les plus douces et qui lui a donné ses plus chères émotions d’artiste, il est facile de deviner d’avance sa réponse : le pays d’où il arrive est toujours le plus beau du monde ; et il faut admirer qu’après avoir vu tant de choses et les avoir si bien vues, jusqu’à les faire revivre, on puisse conserver une fraîcheur d’œil et d’impression qui permette d’aborder sans cesse à des rives nouvelles comme si l’on en était toujours à son premier voyage.

  1. Voire : une Exposition et un livre de M. Alexandre Lunois, loc. cit. ; et aussi : la Première eau-forte originale de M. Alexandre Lunois, t. XXIII, 1908), p. 351.