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de dominer l’invention du peintre. Que si cette composition n’est pas la transcription d’une scène de Mystère, avec la mise en place de ses éléments, quelques-uns des types qui s’y distinguaient et un aperçu des costumes et des accessoires à l’usage des confrères-acteurs du temps de Bosch, on se demande ce qu’elle peut bien être.

Cependant, l’artiste n’a pas cessé de s’intéresser à la perspective et aux délicatesses d’un paysage ou d’un fond d’architecture, et son humorisme ne rejette pas toute contrainte. C’est qu’il n’est pas encore au bout de sa voie. Mais un Jésus devant Pilate, au musée de Princeton (New-Jersey) nous devient éminemment révélateur[1]. Il s’agit de nouveau, à n’en pas douter, d’un souvenir de théâtre. Les personnages sont représentés un peu plus qu’à mi-corps ; au centre, le Christ, noble et doux ; Pilate à son tribunal, hypocrite, gourmé, les lèvres serrées aux coins tombants, les yeux mi-clos, le geste étriqué, un voile sur la tête, et, près de lui, un affreux et maussade conseiller, tenant la cuvette légendaire. Parmi les assistants, et tous placés en évidence, d’indicibles reîtres aux visages carrés, aux mâchoires proéminentes, héros de mascarade, choisis, tournés, accoutrés paradoxalement. L’un est coiffé d’un casque en forme de coupole, surmonté d’un cylindre, complété d’un jugulaire bridée sur son masque comme sur un masque de carnaval. Un autre possède un interminable nez busqué plongeant vers sa lèvre inférieure ultra-saillante. Ce troisième hurle, d’une bouche ronde de mascaron de fontaine vomissant de l’eau. Il n’en est pas un dont le physique ne se pousse à l’outrance. Les persécuteurs du Christ sont personnifiés en des êtres hideux. Nulle attention au fond et à la perspective. Seules s’imposent les figures stigmatisées par la plus exubérante fantaisie. Voilà l’aboutissement de Bosch à ses dernières années.

Des remarques analogues peuvent être faites sur les deux Marches au Calvaire du Prado et de Gand. L’évocation du Prado se déroule au premier plan d’un paysage panoramique d’où surgit une immense ville. Ce douloureux cortège a toutes les apparences du défilé dramatique réalisé

  1. Sur ce tableau, cf. Allan Marquant, A painting by Hieronymus Bosch in the Princeton Art Museum (Bulletin de l’Université de Princeton [New-Jersey], t. XIV, mars 1901), et L. Maeterlinck, À propos d’une œuvre de Bosch au musée de Gand, dans la Revue, 1906, t. XX, p. 299. – La photographie fait impérieusement penser à Bosch ; mais l’œuvre ne fût-elle qu’une copie, ses caractères sont d’une telle netteté que rien ne serait changé dans nos conclusions.