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les combattants à n’être point téméraires, conseil dont, à la vérité, la plupart n’ont pas besoin. Peut-être cette fantaisie déliberée, pleine de moquerie pour les combinaisons collectives et les excès de précautions, a-t-elle pris son point de départ en quelque divertissement public ou quelque mascarade. Il n’importe. Elle a ses visibles intentions. Mais nous avons aussi, par bonheur, une peinture de Bosch qui est une allégorie morale complète, à son point d’exécution originale et des plus significatives. Nous parlons du Chariot de foin, paraphrase de ces paroles du prophète Isaïe : « Omnis caro fœnum – Toute chair est foin » [1].

Le chariot chargé de foin symbolise tout ce qu’on envie, richesse, honneurs, plaisirs. Il roule pesamment vers la grange, traîné par sept monstres. Tout en haut sont une femme qui chante, sa musique notée sous les yeux, un jeune homme qui l’accompagne sur un luth, une Renommée qui sonne de la trompette. En avant, dirigées par un gros ecclésiastique, des nonnes entassent du foin dans des sacs. Derrière le char paraissent un pape, un empereur, des princes en habits de parade. Sur la masse du foin, des hommes en nombre s’évertuent à sa hisser à l’aide d’échelles, au moyen de crocs, en s’entre-battant. Plusieurs sont déjà tombés sous les roues du char qui les écrasent ; tous seront broyés. Le sens de cette forte allégorie, aux exagérations typiques, rudement accentuées, c’est qu’il est fou de courir après les faux avantages que promènent à travers la vie les Sept Péchés capitaux, car cette poursuite ne procure que le trouble, la mort et l’enfer. Le mauvais idéal est la suite du péché originel, cause du bannissement d’Adam et d’Ève de l’Éden, et qui était lui-même le fruit de la révolte de Lucifer. On n’a pas à s’étonner de trouver ces déductions théologiques dans une œuvre du xve siècle ; elles proviennent de l’héritage du passé ; elles sont conformes aux idées de l’époque de Bosch, et, d’ailleurs, se notent d’une incontestable grandeur. L’artiste leur donne, en raccourci, une conclusion curieuse et imprévue au revers de son triptyque. Ici s’étend un grand paysage coupé, en avant, d’un

  1. Partie centrale du triptyque de l’Escurial signalé précédemment, avec le Paradis terrestre, la Chute des Anges rebelles et l’Enfer sur les volets. H. 1m, 34. L. 0m, 98. L. des volets 0m, 45. Décrit par C. Justi, loc. cit. (Jahrbuch der Kœnigl. Preuss. Kunstsamml., t. X, fasc. 3, h. p. 13 et 1889). Une bonne copie ancienne en a paru, à Bruges, en 1907, à l’Exposition de la Toison d’or (no 257 du catal.) Le grand panneau en venait du palais d’Aranjuez, le volet de gauche du couvent de l’Escurial, le volet de droite du Prado (no 1179 de ce Musée).