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modèle tour à tour sommaire et précieusement traité en « clair-obscur », la couleur tantôt rude, tantôt moelleusement fondue, mais toujours forte, est la plus individuelle nouveauté. À Berlin, dans un Ecce Homo aux petites figures en pied, de la collection von Kaufmann, et très différent de celui du roi d’Espagne, un Pilate, d’une indicible cautèle, présente le Sauveur du haut d’une estrade à une foule odieusement impitoyable, composée des personnages ordinaires et si reconnaissables du peintre. Au musée de Gand, une seconde Marche au Calvaire entasse de sinistres figures autour du Christ martyr, conduit, sa croix sur l’épaule, là où il doit être crucifié. En tête du cortège s’avance un reître énorme, rubicond, les yeux injectés de sang, la moustache hérissée, les joues débordantes, le casque de travers. Le bon larron, barbu et pâle, lié de cordes et terrifié, chemine entre un frénétique qui l’invective et un Pharisien renfrogné, aux lèvres bestiales. Au premier plan, le mauvais larron, hirsute et trognonnant, se retourne pour répondre par un défi aux brutes qui l’insultent de leurs rires cruels. Des soldats de cauchemar, un affreux vieillard édenté, un homme coiffé d’un paradoxal chapeau nuancé comme un arc-en-ciel, d’où retombent des anneaux suspendus à des fils de métal, défilent en désordre. À l’angle gauche du cadre, la secourable Véronique, en coiffe bleuâtre, déploie le linge de la Sainte Face. Quelques-unes des figures ne sont peintes qu’en grisaille, soit que l’exécution n’ait pas été terminée, soit que les glacis aient disparu. Certains morceaux se prévalent, par contre, de délicatesses de tons raffinés. Ce tableau, de même que le précédent, nous montre d’ailleurs le rattachement d’une notable partie de l’œuvre de Bosch aux spectacles des Mystères, traduits d’une verve outrancière et fantastique[1]. Il conviendra, tout à l’heure, de revenir brièvement sur ce point de vue.

En un cercle d’idées plus calmes mais non moins curieuses, l’Adoration des Mages du Prado, de Madrid, commande et retient l’attention. Sous une branlante et ouverte masure de clayonnage et de chaume, la Vierge, assise, les pans de son manteau ramenés sur ses genoux, tient en ses mains le très petit Enfant Jésus. À ses pieds s’est agenouillé le

  1. Sur l’Ecce Homo Kaufmann, exposé à Bruges en 1902 sous le no 137 (H. 0m, 75. L. 0m, 61), cf. L. Maeterlinck, Gazette des Beaux-Arts, 1900, t. I — Sur le Portement de croix de Gand (même exposition, no 285 du catal. H. 0m, 72. L. 0m, 78), cf. L. Maeterlinck, dans la Revue, 1906, t. II.