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D’un tout autre esprit est l’Académie particulière, ce délicieux tableautin de la collection Jacques Doucet, où l’on voit un jeune artiste, assis par terre, son carton sur ses genoux, et dessinant d’après une femme nue allongée sur un divan [1]. Le peintre, vêtu de rouge, est à gauche, au premier plan, et dans l’ombre ; tous les accessoires du fond — un tableau bleuâtre sur un chevalet, des cadres accrochés au mur, la glace qui reflète un rayon de bibliothèque, la cheminée sur laquelle reposent une palette et des pinceaux, — traités avec un sentiment très fin des valeurs, sont tenus dans une note un peu sourde, pour mieux mettre en relief le joli corps au modelé savoureux, qui s’enlève, tout rose, sur le fond bleu du divan, d’où tombe une lourde draperie de soie grise. Un parfum de volupté flotte en cette petite chambre close, un parfum particulier qui ne rappelle ni le piquant de Boucher, ni les hardiesses de Frago, ni les galanteries parfois équivoques de Baudouin.

En dépit de quelques incorrections et de quelques préciosités, la pâte riche et nourrie, le coloris frais et délicat comme celui d’une miniature, le dessin souple et sinueux, l’imprévu de l’arrangement, la magie du clair-obscur, tout s’accorde pour donner plus de prix à cette aimable peinture. Il n’est pas jusqu’à ses origines mêmes qui n’en rehaussent encore la valeur : elle a appartenu à Mme Du Barry, et son cadre ancien, au fronton duquel sont sculptées les armes et la devise de la dernière favorite de Louis XV, évoque aussitôt le souvenir d’une vente anonyme, faite à l’hôtel d’Aligre, le 17 février 1777, où l’Académie particulière figura parmi d’autres œuvres d’art provenant en partie des collections de la célèbre comtesse [2].

La description, très précise, du catalogue de cette vente suffirait à authentiquer le tableautin de la collection Doucet, si Saint-Aubin n’avait pas pris soin d’en donner non seulement une eau-forte, rarissime aujourd’hui, mais aussi une réplique avec variantes, exécutée à l’aquarelle et « d’un faire plus terminé, plus caressé, plus petit même que celui de ses dessins habituels », quoique n’excédant pas la grandeur d’une carte de

  1. Bois II p 174, L.. 0,270. – Ce tableau n’avait jamais été publié jusqu’à ce jour, et c’est à la gracieuse permission de M. Jacques Doucet que je dois de pouvoir en donner une reproduction.
  2. N° 183 du catalogue : « Un peintre dessinant d’après un modèle de femme ; elle est toute nue, couchée sur un canapé. » Bois h. 6 pouces 6 lignes sur 1. 10 pouces ; soit environ 0,175 sur 0,270, c’est-à-dire à un millimètre près les dimensions du tableau de M. J. Doucet.