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Puis, de longues vacances pour se refaire, pour préparer de nouveaux sujets, travailler, produire même des œuvres originales. Comme les missionnaires des Universités sont fort en vue, on leur offre souvent de belles situations qui leur apporteraient le repos avec le profit. L’an d’eux, qui est clergyman, refusait une place de 30 000 francs dans l’Église. Or le plus qu’ait jamais gagné un missionnaire, c’est 12 000 ou 15 000 francs. Encore faut-il pour en arriver là un tempérament de fer et un talent peu commun.

Désirant consacrer solennellement l’institution de l’Extension, l’Université de Cambridge décidait, il y a deux ans, d’accorder l’affiliation aux centres qui organisent un ensemble systématique de cours de sciences et de littérature espacés sur une période de quatre ans : il en résulte que les étudiants qui, dans ces centres, auront suivi les cours pendant trois années consécutives et passé les examens à la suite de ces cours, seront admis à l’Université même et pourront y briguer le degré de bachelier ès arts au bout de deux années de résidence au lieu de trois ; c’est donc un an de résidence à l’Université sur trois qu’on leur remet. En fait, très peu d’étudiants de l’Extension quitteront leur profession pour commencer une nouvelle vie ; mais cette décision venant d’un corps aussi conservateur que la vieille Université de Cambridge et s’adressant à la grande masse du peuple cliente de l’Extension avait une signification très haute sinon une portée pratique très vaste. « L’éducation universitaire était mise par là même, dit un auteur, à la portée du pays tout entier. »

Enfin Oxford a complété l’œuvre en créant une bibliothèque circulante et des réunions d’été pour les étudiants de l’Extension à Oxford même.

Depuis trois ans, Oxford réunit chaque année, pendant les vacances d’été, environ un millier d’étudiants de l’Extension. Fermiers, petits bourgeois, filles de clergymen, instituteurs, artisans et mineurs, ils viennent, pour deux semaines, se donner l’illusion de celte vie intellectuelle, intense et douce, dans les cloitres paisibles des vieux collèges : ils veulent sanctifier leurs efforts par un pèlerinage à la source sacrée. Pendant ces réunions d’été à Oxford, on leur fait des cours très généraux, comme s’ils devaient plus que jamais oublier les intérêts éphémères pour la science immortelle durant ce trop court séjour au sanctuaire ; — puis on leur montre les collèges, leurs beautés, leurs trésors, les collections, les bibliothèques ; ils s’en retournent réconfortés. Beaucoup sont de simples ouvriers qui n’ont pu venir en quittant leur ouvrage que grâce à une bourse de voyage péniblement conquise.

Cambridge invite aussi, mais non la foule, quelques élus seulement, non pour les ravir, mais pour les pousser, pour leur faire passer dans les laboratoires, dans les bibliothèques quelques semaines entièrement consacrées au culte désintéressé de la science.

Tels sont les traits principaux de organisation.

Voyons maintenant comment elle fonctionne.

Pour les centres ouvriers, l’histoire du mouvement dans le Northumberland est tout à fait caractéristique. Dans l’automne de 1879, un cours d’économie politique fat organisé dans quatre villes du bassin de la Tyne (Newcastle, Sunderland, North Shields, South Shields). Des auditoires très mêlés assistaient à ces cours ; il s’y trouvait des mineurs. A la fin il y eut un examen : la première place fut prise par un ouvrier mineur, la seconde par la fille d’un riche industriel, membre du Parlement. Les mineurs qui avaient suivi le cours, ayant à leur tête le lauréat, commencèrent avec enthousiasme une campagne dans le bassin houiller pour faire instituer des conférences analogues. On tint des meetings ; on forma un comité. El l’été suivant, cinq villages du bassin eurent leurs cours populaires que vinrent suivre 1300 mineurs. Les billets coûtaient pour 12 leçons 1 shilling pièce, c’est-à-dire 1 penny par leçon. Les fonds nécessaires étaient complétés par les propriétaires des houillères, par des sociétés coopératives locales, par de simples particuliers. Le mouvement une fois lancé ne s’arrêta plus qu’en 1887, année de grève. Les sujets traités étaient, avec l’économie politique, l’histoire d’Angleterre, la géologie, la chimie, la physiologie, la géographie physique et la littérature anglaise.

Les résultats furent surprenants : un mineur n’ayant jamais fréquenté l’école, et descendu dans la mine encore tout enfant, parvint à acquérir une véritable compétence sur certains points de l’histoire littéraire. Deux autres ouvriers devinrent très érudits sur la géologie locale : tous deux ont recueilli et classé des collections de fossiles provenant des mines. Un autre a préparé toute une série de coupes histologiques qui feraient honneur à un naturaliste de métier.

Le sérieux, l’ardeur avec lesquels ces hommes écoutent et profitent, la précision directe de leur langage sont admirables. Un missionnaire de l’Université, après son cours, causait dans an groupe de mineurs ; on en vint à parler de l’Histoire des sciences inductives de Whewell. L’un des mineurs se prit à dire : « Ah ! voilà un livre que depuis longtemps je désire voir. Stuart Mill l’attaque sur un point ; mais, autant que je puis juger, Mill a tort. » Qui s’en irait discuter à Anzin ou à Decazeville, entre mineurs, la classification des sciences d’Auguste Comte ou le Discours de la méthode ?

Un mineur du Northumberland écrivait à un journal local, en 1883, à propos des missions universitaires : « Je connais plusieurs personnes qui font 6 milles (plus de huit kilomètres) pour se rendre aux cours de l’Extension. Bien mieux, il y en a qui font jusqu’à 10 milles pour suivre le cours en ce moment. »

Un des missionnaires d’Oxford me disait qu’il a en plusieurs endroits des auditoires de 600 personnes