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de Cambridge, résidant à Londres, s’est constitué dans la capitale pour lancer des missionnaires sur ce terrain, vierge encore. Le succès, modeste au début, a sans cesse été croissant, et la victoire est aujourd’hui définitivement gagnée. Le comité londonnien est parvenu à créer des centres très actifs, très vivants, dans les faubourgs et les quartiers populaires. Il a dû faire des concessions : en 1887, il a institué des séries de trois conférences, qu’il a appelées « conférences populaires » et qui, dans des milieux mal préparés, doivent ouvrir les voies à l’œuvre plus délicate, plus compliquée de l’Extension.

Le comité de Londres s’est réservé naturellement l’immense domaine de la métropole avec les districts environnants. Oxford et Cambridge se sont partagé les provinces anglaises. Oxford a pris l’Ouest, Cambridge l’Est.

Voici quelques chiffres qui donnent une idée très nette de l’étendue et de la popularité de ce mouvement :

Eu 1873, année des débuts, Cambridge envoyait des missionnaires dans dix centres qui réunissaient 3200 étudiants ; en 1889-1890, il y avait, relevant de Cambridge, 85 centres, 125 séries de cours et 11 595 étudiants, dont 2358 avaient remis des devoirs chaque semaine et dont 1732 passèrent l’examen à la fin du cours.

Pour Oxford, les chiffres sont :

En 1889-1890, 109 centres, 148 séries de cours, 17 904 étudiants, 927 certificats accordés après examen.

Pour Londres :

En 1890, 130 séries de cours, 12 993 étudiants, 1972 devoirs remis chaque semaine (moyenne), 1350 certificats accordés après examen.

Et, si l’on y ajoute les 1040 étudiants des cours de l’Extension faits par les missionnaires de Victoria University (Manchester), on arrive au total de 42 312 étudiants de l’Extension. De 1885 à 1890, le nombre des étudiants a doublé.

Pour atteindre ce résultat considérable, les sommes dépensées ont été relativement peu élevées : on les évalue, pour l’année 1889-1890, à 19 100 livres sterling, soit moins de 500 000 francs, qui ont été payées en grande partie, shilling à shilling, par les étudiants, la moyenne étant de 10 shillings par tête.

42 000 personnes, appartenant à toutes les classes de la société et surtout aux classes populaires, ont eu, grâce aux missionnaires des Universités, accès à la haute culture, alors qu’il y a vingt ans elles n’auraient même osé rêver de recevoir un jour un pareil bienfait.

Les sujets enseignés sont extrêmement variés. Pendant l’année 1890, les missionnaires d’Oxford ont donné 90 séries de cours sur des sujets historiques, 64 sur les sciences naturelles (chimie, physique, physiologie animale et végétale, géologie, etc.), 33 de littérature et d’art, 5 d’économie politique.

Et si l’on veut connaître entre cent autres quelques-uns des sujets traités : le siècle de Périclès (à Sheffield en plein centre manufacturier) ; l’histoire de Florence (à Oldham, devant un auditoire de 600 ouvriers tisseurs et fleurs de coton) ; la tragédie grecque (à Newcastle, au centre d’un bassin houiller) ; les peintres anglais : comment s’est formée l’Europe moderne ; histoire d’Irlande ; Chaucer et Spenser : la Révolution française ; la prose au xixe siècle ; Shakespeare ; la Divine comédie de Dante ; Hérédité et Évolution.

Le Syllabus, remis par chaque missionnaire à chacun de ses auditeurs, porte eu bonne place la note suivante : « A la fin de chaque cours, le professeur tiendra une classe, pendant laquelle il développera certains points qu’il n’aura pu traiter à loisir dans son cours… Il se félicitera si, pendant la classe, les étudiants lui posent des questions sur tous les points difficiles qu’ils ont rencontrés dans son cours. — Comme l’un des objets principaux de l’enseignement de l’Extension est de servir de guide pour la lecture des meilleurs livres et de suggérer une méthode pour l’étude personnelle, les étudiants sont priés de vouloir bien consulter le professeur sur les livres relatifs à son sujet. — On espère que les étudiants, à moins de cas de force majeure, resteront pour la classe et remettront des essais chaque semaine. Seront seuls admis à passer l’examen à la fin de la série des cours les étudiants qui auront au moins assisté aux deux tiers des leçons et des classes et qui auront remis autant d’essais. »

En 1890 les Universités d’Oxford et de Cambridge employaient chacune 24 missionnaires, et Londres, 30.

Les missionnaires sont de deux sortes : les uns sont des hommes dont la réputation est déjà faite, qui pourraient occuper ailleurs des situations enviées, mais qui préfèrent cette vie agitée, ardente, épuisante, mais pleine d’intimes satisfactions. D’autres sont de tout jeunes gens qui viennent de passer leurs examens et qui, pour se former à l’enseignement, à la vie publique, ou, par simple dévouement, se consacrent à cette noble cause.

La vie du missionnaire est extraordinairement active. Il fait des cours cinq soirs et trois ou quatre après-midis par semaine. Chaque cours représente une préparation de deux heures : de plus, environ deux cents essais d’étudiants à corriger par semaine. Cela dure douze semaines au printemps et douze semaines en hiver. Outre le travail, il y a les longs voyages en chemin de fer (il n’est pas inutile de faire remarquer en passant que l’œuvre des missions universitaires n’a pu prendre ce merveilleux essor dans les dernières années que grâce aux facilités nouvelles qu’offrent les lignes de chemins de fer et les trains rapides sur toute la surface du pays). Plus d’un missionnaire a fait 10 000 milles en une seule session. Mais quelles compensations en revanche ! l’accueil enthousiaste, la chaude hospitalité partout, la connaissance de tous les aspects du pays, de la vie sociale, des traits divers du peuple anglais.