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Le sergent hésita une seconde ; puis, serrant vigoureusement la main de Brisehutte :

la, dit-il, ia !

Ce fut le tour d’abord de Landrac, puis de Martinée, puis de Brisehutte, puis de Dominique.

C’est cette quadruple exécution qu’avaient entendue là-bas Guèdre et Marcel cheminant dans la forêt.

Charles Épheyre.

LES MYSTÈRES

Fragment d’une étude sur l’histoire des religions.

C’était une croyance générale des temps les plus reculés que tout était issu d’une profondeur divine, source intarissable de biens. Cette profondeur occupait une immense région souterraine. Telle était la forme que prenait dans des esprits où dominait non la pure raison, mais l’imagination, la pensée qu’un principe d’où procédaient toutes les existences était placé au delà de ce que la connaissance peut saisir, idée qui devait être comprise dans un sens moins matériel à mesure qu’affinerait les esprils le travail de la réflexion.

Le souverain de la grande région souterraine avait dans la mythologie grecque le nom de Pluton, dérivé du mot rAouros qui signifie richesse ; et sur les monuments les plus anciens où il figure, il tient d’une main cette corne débordante de fruits dont on fit aussi l’attribut ordinaire des fleuves, qui portent partout la fertilité. La mythologie latine parlait du trésor d’Oreus, le Plutou de l’Italie. Ainsi se figurait, en des temps de poésie, la croyance que dans le principe invisible d’où émanaient toutes les choses visibles, comme s’exprime Platon, se trouvait à l’état éminent, suivant une locution familière à Descartes, tout ce que déploie la nature, croyance diamétralement opposée aux théories qui, faisant abstraction de toute origine transcendante, vinrent depuis expliquer le monde par un progrès sans cause du néant à la perfection.

Aussi ne pensait-on pas, aux temps de la haute antiquité, qu’il régnât dans la grande région souterraine une absolue obscurité. On pensait, au contraire, qu’il s’y trouvait une lumière spéciale (sua sidera norunt) différente, à la vérité, de celle du jour, mais où celle-ci avail sa source, le soleil venant périodiquement s’y renouveler. C’est une doctrine qu’enseignait explicitement la mythologie égyptienne et dont les mythologies grecque et latine offrent des traces. Suivant Ja mythologie grecque, la Nuïil était la mère des Grâces. De la nuit souterraine avaient jailli les astres, qu’on ne croyait pas jadis aussi éloignés qu’ils le sont. Aussi fut-ce d’abord par nuils et par lunes qu’on divisa la


durée, et non par jours et par années. Ainsi faisaient encore les Gaulois lorsque les Romains les connurent ; ainsi firent toujours les Hébreux.

La région souterraine ou inférieure, ou infernale (ces mots étaient synonymes), élait primitivement la demeure des dieux ; c’était aussi celle des âmes. Les dieux y jouissaient d’une félicité qui les faisait appeler du nom de bienheureux, péxages, l’une de leurs qualifications les plus anciennes, les âmes participaient à cette félicité. Ce devait donc être la destinée finale de l’humanité et l’objet éminent de ses désirs que de retourner à ce séjour heureux auquel remontait son origine, et tel fut le dernier terme où tendit partout la religion, On voulait oblenir des dieux toute sorte de biens, mais surtout ce bien suprême de vivre un jour de leur vie et d’en vivre avec eux. À l’existence future durent donc se rapporter les pratiques qu’on croyait le plus propres, entre toutes, à complaire à la divinité. Ce furent celles aussi qu’on dut tenir le plus cachées. Les dieux ne pouvaient aimer qu’on divulguât ce qui les concernait de plus près et qui touchait au plus intime de leur existence. D’une manière générale, chez les anciens, certaines pratiques religieuses passant pour être plus que d’autres de nature à gagner la faveur des dieux, ceux qui croyaient avoir seuls la connaissance de ces pratiques, souvent parce que c’étaient les dieux eux-mêmes qui les leur avaient révélées, à eux ou à leurs ancêtres, en gardaient soigneusement le secret. Mais surtout on dut entourer de plus d’obscurité Les rites qui avaient le plus de rapport à la nuit divine. Les Grandes déesses d’Éleusis, génies des régions souterraines, Cérès, ou la Terre-mère, et Proserpine qui vraisemblablement en fut un dédoublement, étaient représentées avec des flambeaux à la main, comme habitantes du séjour nocturne ; et si l’on pratiquait de préférence pendant la nuit les cérémonies religicuses, pour celles du culte de Cérès et de sa fille, à Éleusis, c’était une prescription particulièrement rigoureuse.

Quelles étaient maintenant la signification et l’efficacité présumée du culte en général, et, en particulier, du culte des Grandes déesses ?

Est-il vrai, comme l’a dit un poète latin, et comme l’ont redit beaucoup de modernes, que la religion ait eu pour origine la crainte, et le culte pour objet primitif de désarmer par des offrandes des génies d’un naturel malveillant ? A l’appui de cette opinion on peut citer avec apparence de raison ces expressions si fréquemment employées par les anciens : ihdoxeolær rod Veouc, placare deos, apaiser les dieux. Mais en réalité, dans le paganisme comme dans le judaïsme, si l’on attribuait souvent à la divinité une colère qu’il importait de calmer, c’était dans sa justice qu’on croyait en trouver la raison.

Chez les Juifs, qui eurent une conscience plus vive