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— Oh ! regardez tout ce monde, fit Jack ironiquement. Est-ce parce qu’ils savent que le cours de M. Waddington va finir ?

— Non, répondis-je, c’est parce qu’ils savent que le cours de M. Croiset va commencer !

Fernand Vandérem.

CORRESPONDANCE

À propos de Meyerbeer.

A MONSIEUR LE DIRECTEUR DE LA « REVUE BLEUE ».

Sans doute, en parcourant ces lignes — si du moins vous daignez leur faire cet honneur — vous ne manquerez point de dire qu’il n’est au monde que des musiciens pour couver ainsi de vieilles rancunes : et peut-être aurez-vous raison. En effet, c’est pour répondre ou mieux pour répliquer à un article-étude sur Giacomo Meyerbeer, étude parue le mois dernier sous la signature de votre excellent critique, M. de Récy, que, fort de mon titre de vieil abanné, je m’adresse tout droit à vous, monsieur le Directeur. Je m’étais promis cependant d’imposer silence à ma petite rancune : mais, au cours d’un voyage que je viens de faire à travers la France, m’étant heurté presque à chaque pas avec la Revue que vous dirigez, et ayant remarqué de fort près aussi que ses jugements ont force de loi, je n’ai plus voulu garder mon secret, et j’aime mieux vous le confier, sans me flatter le moins du monde, que vous lui accorderez la favenr insigne d’en faire "part à vos lecteurs.

Et d’abord, pour tout mettre à point, laissez-moi vous dire que j’ai plaisir Le plus souvent à me trouver en communion d’idées avec votre savant critique, que ses sentiments sout presque tous les miens, et que je ne saurais trop rendre hommage à sa sincérité. Ce n’est donc point à un ’adversaire que je m’adresse, mais à un écrivaln sympathique, qu’un désaccord momentané a séparé de moi, D’où une petite rancune, et même deux, si vous voulez bien. Deux Jois, en effet, votre éminent critique a légèrement éraflé mon épiderme musical, et, deux fois, j’ai failli crier. Mais exposons les faits avec ordre.

Un jour — il y a longtemps déjà — le critique de la Revue bleue se montra sévère, un peu bien sévère, envers Gluck, envers le grand, le divin Gluck. Aussitôt, pour défendre mon maître, je voulus bondir sur ma plume. Malheureusement je n’en avais pas. J’étais au bord de l’Océan, n’ayant en main que votre Revue. Or je tenais à protester. Que faire dans ces conjonctures ? Je saisis le critique acerbe sous la forme de son article, et, comme Hercule fit de Geryon — est-ce bien lui ? je n’en suis pas sûr — je le lançai dans les flots amers. Peut-être, en cherchant bien, le retrouverait-on aujourd’hui dans les flancs de quelqu’un de ces monstres marins qui s’ébattent joyeusement dans cette partie de Punivers liquide qui s’étend de l’embouchure de l’Adour à la Bidassoa.

Une autre fois — c’est le mois dernier — l’intelligente direction de notre Opéra avait convié l’Europe à célébrer chez elle le centenaire de Meyerbeer, #t, pour mieux recevoir ses hôtes, elle avait hermétiquement barricadé ses portes.

Alors j’avais songé ainsi:à Puisque notre Opéra fête de la sorte l’auteur des Huguenots, mon critique bleu va venir et, devant le marbre du maitre, il.va déposer pour nous tous un joli compliment ét un rameau de palme. »


Il est venu, en effet, il est venu, le critique bleu; maisson compliment était un pamphlet et sa palme était un marteau, et, avec ce marteau, il a si bien cogné le marbre qu’il l’a presque pulvérisé. Oh ! cette fois-ci, par exemple, j’ai bondi sur ma plume et, enviant pour la première fois le bonheur de ceux qui sont experts à manier ce léger instru— " ment, m’en servant, moi, comme d’un bélier, bribe à bribe j’ai voulu démolir l’œuvre de mon critique et recrépir à nouveau Ja statue : tout cela en l’honneur du vieux Giacomo et à la gloire de la musique. J’ai donc aligné mes griefs un à un, et en voici quatre ou cinq environ que je repêche au fond de ma rancune.

Que dit notre critique au début de son compliment ? Il appelle Meyerbeer « le plus graud des parvenus de l’art : parvenu du talent au génie ». Le compliment peut sembler sec, mais, après tout, est-il bien juste et convient-il au seul Giacomo ? Ne pourrait-on pas l’appliquer à bien des maîtres dans tous les genres, fussent-ils même Raphaël, comme Molière ou La Fontaine ? Et qu’est-ce donc que le génie ? D’aucuns n’ont-ils pas dit « une longue patience » ?

Mais je poursuis le compliment :

a pris, de sa race, le cosmopolitisme nomade : jusqu’à changer par trois fois de route, de but et de patrie, à la recherche des procédés les plus habiles et du meilleur terrain ; allant d’école en école, de l’Allemagne à Italie, de Pitalie à ia France, refaisant ses ouvrages et refaisant son style.

Halte-là ! monsieur le critique, de qui donc parlez-vous ici ? Tout judaïsme mis à part, n’est-ce point de Gluck qu’il s’agit, ou peut-être de Beethoven ? Qui donc, plus que l’auteur d’Alceste, est passé d’écolc en école, de l’Allemagne à l’Italie et de l’Italie à la France ? qui donc à refait davantage ses œuvres et son style ? me citeriez-vous un artiste qui, du premier coup, ait scellé son œuvre d’une empreinte définitive ? Non, non, pas même un Raphaël, qui est allé de Pérugin à Michel-Ange, pas même Beethoven, qui a d’abord traversé Mozart. Et vous ajoutez :

De sa race aussi lui sont venus le culte du passé, le discernement des époques et des styles, ce que l’on à pris chez lui pour le sens de l’histoire, et qui n’est au fond que le goût affiné des reconstructions, — l’art du vieux neuf…

C’est ’encorc un peu dur ; mais, critiques aux yeux de lÿnx, comment diable vous y prenez-vous pour découvrir ces choses-là à travers les hiéroglyphes bizarres des triples croches et des soupirs ? Et à nous, musiciens jugeant un camarade, que nous importe qu’il soit juif ?

C’est encore le génie de son peuple qui vient animer ses pages sublimes, — car il en a, et du premier ordre… La haine juive, couvée pendant vingt siècles, y éclate en chants de colère ou de triomphe… Avec le souvenir des grandeurs d’Israël, il a gardé ke pli des servitudes séculaires : c’est Le juif de 4830… Mieux encore que ses bautes qualités, ses défauts caractéristiques rendent témoigaage de son origine : une certaine parcimonie dans le luxe, lc goût des petits moyens et des petits profits, lobséquiosité craintive, toute sorte de circonspections ct de détours, la hôte de jouir du présent poussée à toutes les concessions par méfiance du lendemain… de là ses tätonnements, ses repentirs, ses brusques volte-face, son travail de bénédictin, et ses allées et venues de juif errant, scs timidités et son peu de scrupules, ses trucs.

Non, par ma foi, je n’y suis plus : est-il question ici d’un musicien ou d’un banquier ? C’est d’un musicien qu’il s’agit, écoutez piutôt :

Certes, bien d’autres que lui s’agitent ct Lravaïtent, même parmi les plus grands : Beethoven s’est corrigé toute sa vie, mais Beethoven retouche le détail ; Meyerbeer se cherche encore après qu’il a