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en littérature n’est pas incompatible avec une parfaite imbécillité.

Si l’on continue la comparaison, on voit que les journalistes ont la conscience qu’ils n’accomplissent pas une œuvre immortelle, ils commencent à être modérés dans leur langage et modestes dans leurs appréciations sur le rôle qu’ils jouent ; ils évitent de se placer d’une façon hautaine au-dessus de tous les autres humains et ne se considèrent pas à l’ordinaire comme supérieurs à l’ensemble des êtres vivants. Ils n’invoquent pas, à propos d’une phrase, le jugement de la postérité ; ils ne manquent pas de bonhomie, et ils supportent qu’on ne leur dise pas continuellement qu’ils sont des hommes de génie.

Les purs littérateurs ne partagent pas ces belles tolérances, Ils jugent la littérature un don sacré, dévolu à des cerveaux exceptionnels et, par une étrange contradiction, ils se méprisent réciproquement. Ils sont irritables, mystérieux et hypocrites, et par conséquent insociables ou dangereux.

De toutes les transformations qu’a subies le journalisme, la plus curieuse est qu’il soit parvenu à être admis comme profession par la bourgeoisie. Il en est de même de la peinture. Un bourgeois consent très bien aujourd’hui à ce que son fils se destine au journalisme, et nombre de jeunes gens ne songent pas, dès l’âge de raison atteint, à d’autre carrière que celle-là.

La Presse, d’ailleurs ; s’est justement développée à l’heure où les carrières dites libérales encombrées, débordées, craquaient de toutes parts. C’est un hasard qu’un avocat, qu’un médecin puisse gagner sa vie rapidement ; c’est un miracle qu’ils s’enrichisse. La politique ne nourrit plus ; de sinistres prédictions courent sur la littérature ; un fonctionnaire est voué à une maigre retraite dans sa vieillesse. Nous manquons positivement de professions.

De toutes, il n’y en a pas de plus mouvementée, de plus diverse, de plus bizarre aussi que le journalisme ; pas non plus qui exige plus de facultés et une plus souple intelligence. Il est clair qu’elle ne saurait nourrir tout le monde, et on y meurt de faim, comme partout. Mais c’est déjà un grand point d’avoir inventé une profession nouvelle et une façon d’utiliser l’activité qui n’existait pas auparavant.

Alfred Capus.

(A suivre.)


COURRIER LITTÉRAIRE

M.Ferdinand Fabre : Germy. Sylviane. — M. Jules Lemaitre, les Contemporains, cinquième série.

M. Ferdinand Fabre vient de publier deux ouvrages qui, tous les deux, sans ajouter infiniment à sa gloire, ne seront pas pour la déparer. L’un est une simple nouvelle, assez longue pour former un pelit volume ; l’autre est un véritable roman de mœurs rustiques, assez considérable comme développement.

La nouvelle, c’est Germy. — Germy est l’histoire d’une conversion au village. 11 y avait dans la paroisse du bon abbé Fulcran, qu’il est difficile que vous ne conpaissiez pas, une vieille paienne qui passait pour jeter des sorts, pour faire enfler les vaches d’une manière inopportune, et pour évoquer les esprits préposés à la garde des trésors cachés. Comme tous les sorciers, nécromans et occultistes, car, c’est une chose à remarquer, la vieille paienne était pauvre comme les pierres du chemin, tous ceux qui ont des rapports avec le diable paraissant n’avoir d’autre profit que de le tirer par la queuc. Sa misère finissant par dompter son humeur rebelle, elle fit unc petite retraite à la cure de l’abbé Fulcran, guérit « monsieur le neveu », qui avait une bronchite, brûla le Grand Albert, dont jusqu’alors elle n’avait pas voulu se séparer, et communia saintement à la messe de Noël d’une année dont le millésime m’échappe.

Ge n’est pas méchant, cette histoire-là ; mais cela se lit sans impatience. 11 ÿ à, comme toujours, dans les livres de M. Fabre, des descriptions agréables et un vrai sentiment de la nature, de cette nature rugucuse et dure, charmante par échappées et petits coins, qui est celle du pays de M. Fabre, et qu’il adore. Nous l’adorons de même dans ses ouvrages, encore que nous commencions à la connaître presque autant que lui, je ne dis pas aussi bien. Germy est un petit ouvrage très lisible et plein de bons sentiments doux et tendres. Je le donnerai à ma petite nièce avec confiance. Et voilà pour Îa. nouvelle.

Le roman, Sylviane, très bellement édité par Testard, avec illustrations de Baud et Hamel, est un ouvrage plus imposant. Les lecteurs de la Revue le connaissent. C’est une histoire d’amour, entremélée de légendes rustiques, et ce mélange est fait avec beaucoup d’art et d’habileté. Sylviane est une bonne nièce de curé qui se laisse faire la cour par un jeune docteur médecin, neveu de curé, et ces chastes amours sont racontées devant le curé Fulcran et son neveu, les curés et les neveux de curés étant toujours les personpages principaux des récits de M. Fabre. Au fait, c’est une bonne habitude d’écrivain que celle-ci. Cela tient et retient la plume. Cela trace les limites de la décence qu’il ne faut point dépasser, et cela aussi