Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus il semble bien que l’heure ait été alors décisivement propice.

Mais… mais… Bonaparte paraît !

La promulgation du Concordat, en 1801, est le tombeau de la réforme religieuse ; et la constitution de l’Université, en 1808, est Je tombeau de la réforme scientifique.

Quant à la coordination de la Religion et de la Science, il est clair que la question tombe d’elle-même dans ce cas.

Ainsi, il faut avoir le courage de se l’avouer, des trois conditions du programme, toutes les trois ont été remplies par l’Allemagne et aucune des trois par la France.

Un mot est nécessaire ici.

Veux-je dire que l’organisation universitaire est parfaite en Allemagne, et parfaite aussi l’organisation ecclésiastique, et parfaite enfin l’organisation des rapports de l’une à l’autre ?

Tant s’en faut. Mais, enfin, elle existe, cette triple organisation, en Allemagne ! Et elle n’existe pas chez nous.

Avons-nous reconstitué notre Office religieux ? Avons-nous reconstitué notre Office scientifique ? Avons-nous organiquement relié les deux ? Non. Eh bien, donc, il faut l’avouer, que, dans le domaine de l’Idée, l’Allemagne a, pour le moment, l’avance.

Je n’apprécie pas la qualité du fait. Je constate l’existence du fait, simplement.

Je ne dis, par conséquent, ni que la Pensée allemande est incomparable, ni que la Race allemande est supérieure, ni enfin que l’Hégémonie allemande est indestructible.

Je ne dis pas cela du tout. D’abord, parce que je n’en sais rien. Ensuite, parce que ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Tout ce que je dis, c’est que l’Énergie spirituelle est la source de l’Énergie matérielle ; que l’Énergie spirituelle d’un peuple exige trois conditions, à savoir : un bon Institut scientifique, un bon Institut religieux, et l’exacte corrélation des deux ; et qu’enfin ces trois conditions, précisément, sont réalisées en Allemagne, et ne sont pas réalisées en France. Je dis cela, strictement. Je supplie qu’on ne me fasse pas dire autre chose.

Plus ou moins bien douée, la Race allemande ? je ne sais. Mais mieux outillée, c’est sûr. Je ne suis pas germanomane. Mais je vois ce qui est. Je vois, hélas ! que nous en sommes toujours chez nous au Concordat consulaire et à l’Université impériale ! Je vois que la conception nouvelle de l’Univers est pour ainsi dire encore non avenue pour nous, et que nous nous stérilisons dans la lettre d’un Dogme mort, — cependant que se noue le Drame de l’Europe moderne et que s’étreignent lentement le Nord et le Sud.

Car, sachons-le bien, la question est posée, décidément, entre Luther et Loyola.

En quoi le régime du Concordat a-t-il été funeste à l’évolution religieuse de notre Peuple ? Je n’ai pas à le dire aujourd’hui.

En quoi la constitution de l’Université a-t-elle été funeste à l’évolution scientifique de notre Bourgeoisie ? Je vais le dire tout à l’heure.

Maïs qu’il me soit permis d’abord de bien accentuer ma pensée : consciemment ou non, Napoléon a deux fois attenté à l’Ame de la France.

Autant qu’il était en lui, il à tué doublement, d’avance, d’abord dans le Peuple, puis dans la Bourgeoisie, la Vie et l’Énergie spirituelles de la nation.

Et pourtant la France est toujours debout !

Mais que de vitalité et de force perdues !

Que faire, donc, sinon reprendre avec ferveur l’œuvre trahie de la Constituante et de la Convention ? Que faire, sinon briser le double sceau de mort du Concordat consulaire et de l’Université impériale ?

Oui, la réforme ecclésiastique et la réforme universitaire s’imposent à la France de jour en jour plus impérieusement. Et c’est ce qu’ont bien vu d’un bout à l’autre de ce siècle tous nos vrais penseurs et tous nos vrais politiques.

La Religion et les Églises, je n’ai pas, je le répète, à m’en occuper ici. Mais la Science et les Universités, c’est la question à l’ordre du jour.

Voici qu’en effet, à l’heure où je parle, le Gouvernement lui-même prend devant le Parlement l’initiative vaillante d’un grave projet de réorganisation universitaire. L’heure décisive aurait-elle enfin sonné pour l’une des deux grandes rénovations nécessaires ? J’ai lu avidement le Projet de loi, et je vais essayer d’en dégager l’inspiration essentielle, en disant ce que c’est que la Science et ce que c’est qu’une Université.

III.
qu’est-ce que la science ?

Qu’est-ce que la Science ?

C’est la vision nouvelle de la Nature et de la Vie, de l’Univers et de l’Homme, — c’est-à-dire de la scène et du drame, du théâtre et du héros.

Vision nouvelle de la Nature qui, dès le xvie siècle, enivrait les Giordano Bruno, les Copernic, les Képler, les Galilée, les Vinci ; vision nouvelle de la Vie qui, dès le xixe siècle, enivre les Shelley et les Hugo, les Carlyle et les Emerson !

Or, est-ce ainsi que la Bourgeoisie française comprend la Science, l’Enseignement supérieur, les Hautes Études ?

Il s’en faut de beaucoup, — comme on va le voir,