Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée

REVUE POLITIQUE ET LITTÉRAIRE

REVUE

FONDATEUR :

DIRECTEUR : M.

BLEUE

EUGÈNE YUNG

HENRY FERRARI


NUMÉRO 7

TOME XLIX

13 FEVRIER 1892.


L’AME FRANÇAISE ET LES UNIVERSITÉS NOUVELLES
Selon l’esprit de la Révolution.
introduction.

Il y a environ un an, le Gouvernement, en la personne de M. Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, a soumis au Sénat un Projet de loi sur la réorganisation de l’Enseignement supérieur, ou, techniquement, sur le groupement des « Facultés » en « Universités ».

Le Sénat a aussitôt nommé une Commission composée d’hommes considérables, presque tous anciens ministres : MM. Berthelot, Bardoux, Magnin, Jules Simon, Challemel-Lacour, de Marcère, Barthélemy-Saint-Hilaire, Maze, de Rozières.

La Commission vient de terminer ses travaux et de désigner son rapporteur, un homme à l’esprit élevé, ayant précisément, par ces temps d’anonymats irresponsables, le sens des responsabilités supérieures, le très féminin psychologue et très viril politique M. Bardoux.

M. Bardoux a déposé son rapport, et le Projet va être mis à l’ordre du jour.

Si l’on veut en parler, c’est donc le moment précis.

Or, il faut en parler.

Qu’y a-t-il, en effet, dans ce Projet de loi ? En apparence, une simple question d’administration et de réglementation, du formalisme sans substance.

Et en réalité ? En réalité, il y a ceci : la concurrence vitale des nations, l’Énergie spirituelle, source de la Force matérielle, les rapports de la Science et de la Religion, l’évolution éternelle des idées et des mœurs, la conception moderne de l’Univers, l’inégale souplesse d’adaptation des peuples d’Europe à cette conception nouvelle du monde et de la vie, l’esprit de la Révolution, la crise de l’Ame française, et l’avenir enfin de la Patrie.

Voilà ce qu’il y a dans ce Projet de loi.

Au surplus, on peut en juger par ce qui suit :

I.
role politique des universités dans l’histoire.

Deux vierges, deux Walkures, — sœurs épiques, — mènent le monde : l’Idée et l’Épée. Et l’Épée n’a jamais rien pu, rien de durable sans l’Idée.

Or quel est l’organe tangible et permanent de l’Idée ? C’est la chaire du savant, du philosophe, du penseur. Un groupe de chaires scientifiques constitue une Université. De là le grand rôle des Universités, chez tous les peuples d’Europe, depuis sept cents ans. Voyez plutôt :

Quand l’Angleterre veut assurer sa domination en Normandie, elle fonde l’Université de Caen (1436).

Quand l’Espagne veut se consolider dans les Pays-Bas, elle fonde l’Université de Douai (1572).

Quand l’Allemagne fait la funeste gageure de germaniser l’Alsace-Lorraine, après 1870, elle commence par reconstituer de fond en comble l’Université de Strasbourg.

Écoutez ce que dit à ce sujet M. Anatole France :