des ouvriers habitués à résoudre, pratiquement et au jour le jour, des problèmes économiques.
Il fut convenu que l’on éliminerait les Coopératives dont le titre ne servirait qu’à masquer une entreprise industrielle ou commerciale sans tendances catégoriquement socialistes, et que la carte de chaque adhérent au Parti porterait mention du Syndicat et de la Coopérative dont cet homme serait membre. C’est le Syndicat et la Coopérative obligatoires.
Durant la séance du soir, on décida que le Congrès de l’an prochain, le quatrième, aurait lieu à Tours. Puis l’on vota des félicitations à M. Revelin pour son rapport. Puis, sur la proposition de Mmes Marie Bonnevial et Élisabeth Renaud, on résolut de substituer, dans la déclaration du Parti au mot « Prolétariat » tout court, la formule : « Prolétariat des deux sexes. »
On s’occupa aussi d’un organe officiel ; il fut entendu que le Comité général étudierait les moyens d’en créer un.
Le parti socialiste de France — à cause de ses divisions — est jusqu’à présent le seul à ne pas posséder ses journaux. Ses coreligionnaires d’Allemagne, de Belgique, d’Italie, de partout enfin, ont leur presse. Lui doit se contenter, pour sa propagande, de l’hospitalité bénévolement accordée par quelques feuilles appartenant à des « bourgeois ». Proh pudor !
Enfin un manifeste fut rédigé, où l’on résumait le tumulte des six premières séances du Congrès et les travaux des deux dernières, et l’on se sépara au chant de l’Internationale, — hymne dont le livret n’est guère d’accord avec la grammaire ni avec la prosodie mais qui produit quand même un certain effet.
Une chanson médiocre est toujours agréable à entendre quand elle est clamée par des centaines de voix d’hommes, dont beaucoup sont du Midi.
Voici donc terminé ce fameux Congrès. Le parti socialiste de France en sort plus grand par le nombre et par la cohésion, mais diminué, selon nous, au point de vue moral.
La question de la participation d’un socialiste au pouvoir « bourgeois » ayant été tranchée, d’abord au point de vue des applications futures, par deux congrès nationaux et un congrès international, on pensait qu’elle serait résolue, en ce qui concerne l’application actuelle, par l’assemblée de Lyon. Une fois de plus, elle a été éludée.
On l’a vu en effet, les socialistes ont été, à Lyon, unanimes sur un point. Il importait, disaient-ils tous, que le Parti se déclarât non solidaire de M. Millerand. Ces hommes n’ont pas, collectivement, le courage d’affronter les responsabilités.
Les plus qualifiés d’entre eux, MM. Briand, Viviani, Rouanet, Fournière, Allemane, Brousse, Revelin, et surtout M. Jaurès, ne cessaient, avant le Congrès, de dire et d’écrire qu’il n’était, ni bien loyal, ni bien valeureux, ni bien habile, de répudier le « camarade » Millerand. Et, depuis le Congrès, ils ont repris cette thèse. Mais pendant le Congrès, ils se sont laissé déborder, ils ont lâché pied.
Pourtant, le jour même de l’ouverture, une spirituelle leçon de crânerie leur était donnée par le ministre mis eu cause. Dans la salle des Folies-Bergère de Lyon, divers orateurs en redingote l’accusaient à distance d’avoir commis un crime en acceptant un portefeuille, et il était très mollement disculpé par d’autres personnalités non moins « bourgeoises » par le langage, l’éducation, tout. Pendant ce temps, dans les Ardennes, il se faisait acclamer par des milliers d’hommes en blouse. El à Charleville comme à Lyon, l’églantine rouge fleurissait les boutonnières, et on chantait l’Internationale.
C’est que la foule n’entend rien, elle, aux discussions byzantines. Elle ne se soucie point de savoir si M. Millerand s’est mis « hors de » son parti plutôt que « hors du contrôle » de celui-ci, ou inversement. Elle a simplement constaté que cet homme politique avait entrepris de réaliser les améliorations promises par les autres, et y avait réussi, pour son plus grand bien à elle.
La réalisation, voilà précisément ce qui épouvante les doctrinaires.
Il est si commode de prêcher une quantité de réformes en concluant qu’elles sont incompatibles avec l’état social actuel, et qu’on ne les obtiendra qu’à force de révolutions. Honni soit le compère qui a su discerner l’heure précise de la maturité de certaines idées, et en profiter pour appliquer celles-ci à coups de lois ou de décrets, sans plus de bruit !
Le plus clair de tout ce qui se passe parmi les socialistes de France depuis deux ans, c’est en effet ceci : les vieux rhéteurs ne pardonnent pas au « camarade ministre » de leur avoir enlevé… la révolution de la bouche.
L’autre jour, à la réception de M. Émile Faguet, un académicien se demandait avec beaucoup de gravité si Arouet avait eu raison de prendre le pseudonyme de Voltaire, et, heureusement, il concluait que Voltaire avait eu raison ; heureusement, dis-je, car on sent à quel point il eût été regrettable pour Voltaire que l’académicien ait conclu différemment. Depuis ce moment, un événement d’une importance moindre, à la vérité, a engendré maintes dissertations sur l’usage des pseudonymes, Un jeune écrivain belge,