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M. BERNARD-LAVERGNE. — CONTRADICTIONS DANS LE COLLECTIVISME.

règne, mais entre les membres de ce dernier groupe eux-mêmes.

Notons enfin ce procédé qui devient de plus en plus fréquent chez les socialistes et qui consiste à transporter dans le collectivisme des progrès, des réformes, des conquêtes dont ils dépouillent sans façon la démocratie, manière plus commode que légitime de s’enrichir. On en vient ainsi à accaparer tout ce qu’il y a de bon dans les conquêtes de l’humanité, sans s’apercevoir que l’on retombe ainsi dans la société que l’on a l’intention de démolir.

Je crois pouvoir en conclure que tout ce que le socialisme contient de bon, la démocratie républicaine, la vieille démocratie de la Révolution, est parfaitement capable de le donner par progrès successifs, sans aller chercher dans le monde des rêves cette société nouvelle qui, pour se réaliser, demande tout simplement une humanité composée d’êtres parfaits. Cette réflexion s’impose quand on lit les dernières pages de l’intéressant article signalé : on y constate le malaise que produisent sur un esprit sérieux les données enfantines du collectivisme courant : « Dans l’état actuel, dit M. Sarrante (p. 288), tant que l’évolution économique de la société n’aura pas mis à notre disposition des ressources inépuisables, tant que la satisfaction des besoins matériels restera la grande préoccupation humaine, il semble que l’individualisme ne puisse être banni du monde économique et que nous ne puissions nous acheminer que lentement vers cet idéal. Cette libération définitive de l’humanité, ce noble rêve d’utopistes et de poètes ne peut former la base d’un programme social. Un parti politique ne peut tabler sur cet absolu. »

On voit que M. Sarrante place ici l’individualisme. Il le maintient partout, même dans l’hypothèse lointaine du collectivisme intégral réalisé, seulement il prétend qu’il s’exerce là dans une sphère plus élevée. Nous ne lui en ferons pas un crime, au contraire, nous rendrons justice à son affirmation ; mais il nous sera bien permis de remarquer que, pour d’autres socialistes, auxquels jusqu’ici on avait donné raison, socialisme et individualisme étaient la négation l’un de l’autre ? Et d’ailleurs, M. Sarrante n’a pas encore fait école.

Mais reprenons la thèse que nous posions plus haut sur les emprunts faits par l’auteur à la démocratie. De tout droit, l’individualisme lui appartient : c’est bien pour l’individu qu’elle stipule les droits de la fameuse déclaration.

Sans doute, le bénéfice en est pour tous, mais c’est un bénéfice individuel pour chacun. Poursuivons.

M. Sarrante répudie la révolution violente pour arriver au socialisme et il en donne la raison : c’est que les moyens pacifiques sont plus sûrs.

« S’il est vrai, dit-il (p. 289, dans une note), que l’organisation sociale actuelle accumule d’une part toujours plus de richesse et de puissance entre les mains de quelques magnats de l’industrie et de la finance et, d’autre part, à l’autre pôle du monde social, toujours plus de misère, de paupérisation et de dégradation pour le plus grand nombre, toutes les considérations doctrinales seront vaines, il n’y a plus alors pour la classe ouvrière qu’à tenter l’aléa et à faire voler en éclats une organisation sociale où elle ne peut se développer. C’est le mouvement social qui l’aura acculée dans ce cas à l’impasse révolutionnaire… Mais si, au contraire, le prolétariat peut, dans nos sociétés démocratiques, par l’exercice de sa puissance politique et économique, améliorer sa situation, réduire peu à peu les privilèges du capital et l’orienter vers l’idéal socialiste par des « socialisations » progressives, il est de toute vraisemblance qu’il n’ira pas au-devant des convulsions révolutionnaires et que, confiant dans l’évolution pacifique, il déploiera tous ses efforts dans l’organisation syndicale, dans le mouvement corporatif, dans les réformes municipales et dans les luttes parlementaires : des organismes nouveaux se créeront au sein de l’État où s’encadreront les masses ouvrières et qui résoudront pratiquement, sans rupture violente, le problème fondamental du socialisme : le compromis entre la liberté et l’égalité économique. »

M. Sarranteajoute : « L’État responsable de tout le mécanisme de la production, obligé d’assurer à tous du travail, d’assurer l’existence aux incapables, de prendre les enfants à sa charge, pourrait-il aujourd’hui assumer cette responsabilité ? » Terrible responsabilité, en effet, puisqu’elle expose au recours de tous les affamés qui trouvent leur écuelle vide, sans graves risques économiques, sans une autorité dictatoriale et sans une intervention supportable dans la vie et les rapports de famille, dans la direction donnée à la consommation, dans l’éducation, etc.

« Sans doute, des conclusions pareilles ne présentent ni l’attrait, ni la fascination des conceptions unilatérales. L’esprit humain, amoureux d’absolu, se plaît aux solutions extrêmes, mais les extrêmes sont des abstractions ; il n’y a pas de place pour eux dans la vie. »

L’auteur conclut donc à résoudre le problème « par morceaux », et rompt définitivement avec le système révolutionnaire.

« La socialisation, dit-il, c’est la démocratie appliquée à la production et à la distribution des richesses. » Quoi de plus clair pour justifier notre affirmation que le socialisme s’attribue ce qui revient à la démocratie ? Et quels sont les organismes socialisateurs que