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REVUE

POLITIQUE ET LITTÉRAIRE

lŒVl E BLEIE

FONDATEUR : EUGÈNE YUNG

Directeur : M. Henry Ferrari

numéro 10.

4e Série. — Tome XV.

9 MARS 1901.

CONTRADICTIONS DOCTRINALES
DANS LE COLLECTIVISME

L’étonnement qu’a produit l’incontestable progrès du socialisme, en ces dernières années, amène à rechercher les causes de ce succès et à se demander, par exemple, quelles sont les idées, les doctrines, les aspirations des masses qui se laissent conduire vers le collectivisme et tout au moins des paysans et des ouvriers des campagnes ? Qu’est-ce qui peut les amener au socialisme, ceux-là ? Qu’y comprennent-ils ? Qu’en attendent-ils ?

Nous les interrogeâmes, et voici ce que nous recueillîmes de notre enquête. Nous demandâmes aux paysans s’ils consentiraient à abandonner leurs lopins de terre à la communauté ; ils nous répondirent tout effarés : « Mais, personne n’y songe !… » Personne n’y songe ? Les malheureux ! ils ont trouvé des courtiers d’élection qui leur ont affirmé que personne ne songeait à abolir la propriété privée. Pour les entraîner dans le socialisme, les racoleurs niaient le principe même du socialisme. Que leur importait ? L’essentiel était qu’ils donnassent leur vote ; les pays sans, influencés par quelques-uns de leurs camarades villageois passés des champs dans les usines des villes, les suivaient aveuglément. Ceux-ci, les ouvriers, ne comprenaient guère mieux le système et ce n’est certainement pas en disciples intelligent, qu’ils y adhérèrent ; mais à l’heure qu’il est, le socialisme jouit de la réputation de former l’avant-garde de l’opinion républicaine : encore un peu et l’on prétendra qu’il n’y a de vrais républicains que les socialistes et l’on tient à en être. Déjà l’on affirme que les socialistes, seuls, peuvent faire des réformes. Quelles réformes ? On ne le dit point et pour cause. Parmi ceux qui en proposent, — quelques érudits, — chacun choisit la sienne. En voici un qui vient d’entrer au Conseil municipal d’une assez grande ville, qui trouvera son socialisme satisfait si on lui donne l’impôt progressif sur les successions ; tel autre par l’impôt sur le revenu, au moyen duquel, c’est bien entendu, il espère ne rien payer et rejeter toute la charge fiscale sur le riche.

Au demeurant, dans les rangs de ces prolétaires, point de partisans d’une jacquerie : ce sont des inconscients, ce ne sont point des fauteurs de projets criminels. Les vrais révolutionnaires, prêts à tout, ne se trouvent que dans les grands centres. Là seulement les anarchistes ont chance d’être écoutés.

Telle est, ainsi que nous avons pu le constater, la psychologie des troupes qui forment l’armée actuelle du socialisme. Cette psychologie serait assez rassurante si les intentions étaient pour quelque chose dans l’action des partis : mais il ne faut point perdre de vue qu’il n’y a que le bulletin de vote qui compte et que tous ces bien intentionnés volent pour les socialistes. Ils sont donc, en fait, aussi dangereux que s’ils étaient franchement révolutionnaires.

El maintenant voyons ce qui se passe dans les hautes régions du socialisme ; le progrès et l’unanimité dans les doctrines expliquent-ils ses succès électoraux ? Je n’ai jamais pu comprendre que des hommes très intelligents acceptent un système d’organisation sociale aussi utopique que le collectivisme : un système, pour n’en relever qu’un point