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REVUE

POLITIQUE ET LITTÉRAIRE

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(REVUE BLEUE)


DIRECTEUR:M. EUGÈNE YuNG.


2e SEMESTRE 1884. (3° SémE). NUMÉRO 1. (21° anxée). — 5 JUILLET 1884.

MARINE
Les torpilleurs et les cuirassés

Nous avons attendu, pour répondre aux critiques qu’a soulevées l’étude sur les Torpilleurs autonomes et l’avenir de la marine publiée par la Revue du 3 mai dernier, les nouvelles expériences auxquelles les torpilleurs 63 et 64 ont été soumis dans l’escadre d’évolutions. Ces expériences ont été décisives ; elles ont pleinement justifié les prévisions que nous avaient suggérées les premiers essais de navigation en haute mer tentés par les nouveaux engins de combat qui doivent, selon nous, révolutionner à la fois la stratégie maritime et l’art des constructions navales. Les torpilleurs ont suivi l’escadre dans son voyage à Ajaccio, en Tunisie et en Algérie ; ils sont rentrés avec elle à Toulon, d’où ils sont repartis, toujours avec elle, pour Tanger. Ils ne sont pas allés plus loin ; on ne leur a pas permis d’escorter nos cuirassés dans l’Océan. C’est dommage, car l’épreuve eût été plus complète, plus décisive encore; mais, telle qu’elle a été faite, elle suffit largement pour nous permettre d’affirmer plus hautement que jamais qu’une ère nouvelle s’ouvre en marine, et que la nation qui s’en rendra compte avant toutes les autres règnera pendant quelques années sur les mers.

I

Nous savons bien que cette affirmation a été accueillie par beaucoup de personnes avec une ironie dédaigneuse et nous a valu d’être traité par elles en ignorant qui découvre tout à coup la Méditerranée. Un écrivain officieux, auquel le journal le Temps a prêté ses colonnes, s’est moqué agréablement de l’impression que nous ont produite les essais en escadre des torpilleurs 63 et 64. « Pour quelques-uns, a-t-il dit, la sortie du 14 avril a été une révélation, tandis qu’elle était le résultat de dix ans d’efforts et de travaux soutenus. Nous avons des torpilleurs, non d’hier, mais depuis le jour que ce type a paru. » Et l’écrivain du Temps sourit de la révolution annoncée par nous comme une nouveauté, alors qu’elle est le produit de la clairvoyance bien connue de notre administration maritime, secondée par l’esprit d’initiative de nos ingénieurs.

N’en déplaise à ceux qui nous font ainsi la leçon, nous continuons à soutenir que quelque chose de nouveau s’est produit en marine et que nous n’avons pas eu tort de l’annoncer avec quelque éclat. Oui, il y a eu une révélation, nous acceptons le mot : la révélation des torpilleurs autonomes, dont l’efficacité a été mise pour la première fois en pleine lumière par les expériences de l’escadre d’évolutions. Tous les autres. torpilleurs dont le Temps parle, avec complaisance, tous les torpilleurs construits depuis dix ans pour garder les côtes et les ports, tous les torpilleurs portés sur les cuirassés ne comptent pas pour la révolution à courte échéance que nous avons prédite et qui n’est plus niée que par un petit nombre d’esprits prévenus ou routiniers. Jusqu’à ces derniers temps, les escadres au mouillage ou longeant les côtes avaient seules à craindre l’attaque des torpilleurs ; la pleine mer était libre ; les cuirassés étaient maitres d’y manœuvrer à