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Nous avons, nous aussi, besoin de cette lumière ; elle manque à chacun de nous plus que l’air et la nourriture, plus que la mère et que l’amante. Qui sait ! Peut-être existe-t-il un chemin qui mène aux étoiles ! Peut-être ne sommes-nous pas incapables de les décrocher du ciel et de les apporter ici parmi nous, pour la joie de toute la terre ! Allons donc chercher ce chemin et la lumière de la vie ! »

Un silence se fit dans l’assemblée.

« Qui a dit cela ? » se demandait-on.

« C’est Adeïle, le jeune homme indocile et déraisonnable. »

Et le silence régna quelques instants encore.

Enfin, le vieil Isour, le maître des sages, la lumière de la science, parla :

« Cher adolescent ! nous comprenons tous ton angoisse. Qui de nous ne l’a pas éprouvée à son tour ? Mais il est impossible à l’homme d’arracher une étoile du ciel. La Terre est bordée d’abîmes, de précipices profonds au-delà desquels s’érigent les rochers arides qui n’offrent aucun chemin vers les étoiles. Ainsi parle l’expérience et la sagesse. »

« Ce n’est pas à vous que je m’adresse, ô sages ! répondit Adeïle ; votre expérience couvre vos yeux d’un voile et votre sagesse vous aveugle. C’est à vous, jeunes gens au cœur audacieux, que je fais appel ; à vous qui n’êtes pas encore écrasés par la sagesse infirme des vieillards ! »

Et il attendit leur réponse :

Les uns dirent : « Nous serions heureux d’aller avec toi, mais nous sommes la lumière et la joie de nos parents et nous ne voulons pas leur causer de chagrin. »

Les autres dirent : « Salut à toi ! Adeïle ! Nous te suivrons ! » et plusieurs jeunes hommes et jeunes filles se levèrent et partirent à la suite d’Adeïle.

On les vit s’éloigner vers l’horizon obscur et redoutable, puis les ténèbres les engloutirent.

Bien du temps se passa sans qu’on reçût aucune nouvelle de ceux qui étaient partis. Les mères pleuraient la mort de leurs enfants imprudents et la vie continuait de s’écouler comme auparavant. Comme auparavant les hommes naissaient, grandissaient, aimaient et mouraient dans les ténèbres humides avec le doux espoir que dans des milliers de siècles la clarté descendrait sur la terre.

Mais voilà qu’une fois, à l’horizon noir, le ciel s’éclaira faiblement d’une lueur vacillante.

Les gens étonnés s’attroupaient dans les rues et sur la place en se demandant ce que cela pouvait être.

Cependant, à l’horizon, le ciel s’éclaircissait de plus en plus, des nuages bleus-pâle glissaient sur les brouillards, perçaient les nues et versaient sur les vallées célestes un large sillon de lumière, tandis que les sombres vapeurs tourbillonnaient, se heurtaient effrayées et s’enfuyaient au loin. Les rayons triomphants se faisaient toujours plus lumineux et la terre entière palpitait d’une joie extraordinaire.

— Une semblable clarté ne peut provenir que d’un astre du ciel, déclara pensivement le vieux sacrificateur Satzoï.

— Mais comment a-t-elle pu descendre sur la terre ? — riposta Isour, le maître des sages, la lumière de la science, — nous n’avons pas de chemin qui nous mène chez les astres et les astres n’ont pas de chemin qui les conduise vers nous !

Le ciel cependant s’éclaircissait encore et tout à coup, bien loin, au-dessus de l’horizon un point lumineux, éblouissant se montra.

Alors un cri joyeux retentit par toute la ville : « L’astre vient ! L’astre vient ! » et les gens se précipitèrent à la rencontre du point brillant dans le lointain.

Des rayons clairs comme le jour chassaient devant eux les brouillards méphitiques et les brouillards déchirés s’agitaient et touchaient la terre. Alors les rayons les frappaient, les déchiraient en morceaux et les contraignaient à rentrer dans le sol. Tout l’horizon s’était éclairci et dégagé, et les gens virent combien d’espace libre il y a sur la terre et combien de leurs frères vivaient autour d’eux.

Et ils se hâtaient à la rencontre de l’astre qui s’approchait d’eux. Sur la route Adeïle marchait d’un pas lent en élevant en l’air par un de ses rayons l’astre qu’il avait arraché du ciel. Il était seul.

— Où sont les autres ? lui demanda-t-on.

— Ils sont tous morts, répondit Adeïle d’une voix mal assurée. Ils ont péri dans les effondrements et dans les précipices, en traçant le chemin du ciel.

La foule joyeuse entourait le porteur d’étoile ; les jeunes filles le couvraient de fleurs et de tous côtés montaient des clameurs d’enthousiasme :

« Gloire à Adeïle ! Gloire à celui qui nous apporte la lumière ! »

Il entra dans la ville et s’arrêta sur la place élevant dans sa main l’astre brillant. Alors l’allégresse se répandit dans la ville entière.

Des jours s’écoulèrent. L’étoile lumineuse brillait toujours sur la place au bout du bras tendu d’Adeïle. Mais depuis longtemps déjà, la joie avait quitté la ville. Les hommes marchaient courroucés et mornes, baissant les yeux, évitant de se regarder. Lorsqu’ils devaient traverser la place, leurs yeux s’enflammaient d’une sombre haine à la vue d’Adeïle. On n’entendait plus ni chansons ni prières. Les brouillards méphitiques dispersés par l’astre avaient