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LES TABLETTES D’ÉLOI

Merle !

Dans mon jardin il y a un vieux noyer presque mort qui fait peur aux petits oiseaux. Seul un oiseau noir habite ses dernières feuilles.

Mais le reste du jardin est plein de jeunes arbres fleuris où nichent des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.

Et il semble que ces jeunes arbres se moquent du vieux noyer. À chaque instant, ils lui lancent, comme des paroles ailées et taquines, une volée d’oiseaux babillards.

Tour à tour, pierrots, martins, mésanges et chardonnerets le harcèlent. Ils choquent de l’aile la pointe de ses branches. L’air crépite de leurs cris menus ; puis ils se sauvent, et c’est une autre bande importune qui part des jeunes arbres.

Tant qu’elle peut, elle nargue, piaille, siffle et s’égosille.

Ainsi de l’aube au crépuscule, comme des mots railleurs, chardonnerets, mésanges, martins et pierrots s’échappent des jeunes arbres vers le vieux noyer.

Mais parfois il s’impatiente, il remue ses dernières feuilles, lâche son oiseau noir et répond : merle !


L’Armature, par Paul Hervieu.

Éloi à son amie.

Je vous recommande le dernier livre de M. Paul Hervieu. N’ayez pas peur. C’est presque un roman. Il y a des choses pour vous. Par d’habiles prévenances l’auteur désire nous plaire. Chaque fois que vous lirez les noms du baron Saffre, de M. et Mme  d’Exireuil, attention ! c’est votre affaire. Vous verrez quel nouveau prétexte une honnête femme peut avoir de tromper son mari, avec la certitude d’être pardonnée. Goûtez cela, tremblez, pleurez, soyez femme. Puis, le livre fermé, redevenez ma femme, et que je vous y prenne !

Le reste de l’Armature est pour moi. Sautez, sautez. Moins bon écrivain, Paul Hervieu serait le plus lu de nos romanciers. Il battrait, doublerait Marcel Prévost sur cent mille. Quel dommage et quelle joie qu’il écrive ! Vous savez ce que j’entends par là : j’entends tout. Je me moque d’une idée directrice, d’un problème moral, des nuages métaphysiques comme de noisettes creuses. Je préfère au beau livre la belle page, et à la belle page la belle phrase. Celle de Paul Hervieu m’excite. Il se montre, en style, téméraire et sûr. Seul Barbey d’Aurevilly