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NOUVELLES CONVERSATIONS AVEC ECKERMANN
I
de la critique

Je suis allé chez Goethe vers midi et il m’a invité à une promenade en voiture avant le dîner. Il m’a demandé si j’avais achevé de classer quelques articles critiques qu’il a publiés autrefois à Francfort et à Strasbourg, et qu’il veut comprendre dans la prochaine édition de ses œuvres. Je lui répondis que le travail était assez avancé et que je pensais avoir achevé pour l’autre semaine. — Qu’en pensez-vous, me demanda t-il ? Quelle a été votre impression à les parcourir aussi rapidement ? Car vous savez que la première impression est ordinairement la plus juste et elle est d’autant plus juste qu’elle est plus rapide.

Je lui dis que bien entendu il ne fallait pas songer à comparer ces articles avec les meilleures études de Art et Antiquité, mais que néanmoins j’approuvais l’idée de les réimprimer dans les œuvres complètes. Ils ont, lui dis-je, toute la vivacité, toute la fougue du jeune homme, et cependant, on y remarque de la bonne foi et de l’équité.

— Je les relis encore avec plaisir, me répondit Goethe. Ils sont vifs et fougueux, comme vous disiez, mais cependant ils sont modestes, et respectueux quand il le faut. Cependant les lettres étaient alors en pleine révolution, et dans des époques aussi agitées les jeunes gens ont tout naturellement le droit d’apporter un peu de violence dans la critique. Mais il ne faut pas en abuser. Et surtout il ne faut pas perdre le sentiment des mesures et des valeurs. Les jeunes gens s’imaginent facilement que l’époque de leur début dans les lettres est une époque de Révolution. Et vous voyez bien pourquoi. C’est que leur début à lui seul leur paraît un événement extraordinaire. Cependant ce serait une erreur aussi grave et inféconde que de nier de parti pris le talent de ceux qui les ont précédés. Chaque génération doit apporter avec elle