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geois catholique regarde d’assez bon œil le massacre des Juifs qui le débarrasse d’un rival souvent heureux.

Ainsi, tout concourut à faire du Juif l’universel ennemi, et le seul appui qu’il trouva durant cette terrible période de quelques siècles fut la papauté et l’Église qui, tout en entretenant les colères dont pâtissaient les Juifs, voulurent garder précieusement ces témoins de l’excellence de la foi chrétienne. Si l’Église conserva les Juifs, ce ne fut pas toutefois sans les morigéner et les punir. C’est elle qui interdit de leur donner des emplois publics, pouvant leur conférer une autorité sur les chrétiens ; c’est elle qui incita les rois à prendre contre eux des mesures restrictives, qui leur imposa des signes distinctifs, la rouelle et le chapeau, qui les enferma dans les ghettos que souvent les Juifs avaient accepté volontairement, dans leur désir de se séparer du monde, de vivre à l’écart, sans se mêler aux nations, pour garder l’intégrité de leurs croyances et de leur race. En maints endroits, les édits qui ordonnaient aux Juifs de rester confinés dans des quartiers spéciaux ne faisaient que consacrer un état de choses déjà existant. Mais le principal rôle de l’Église fut de combattre dogmatiquement la religion juive. À cela les controverses si nombreuses pourtant ne suffirent pas, on fit des lois contre les livres juifs ; Grégoire IX ordonna de brûler le Talmud ; on expurgea les prières juives et on défendit l’érection de nouvelles synagogues.

Les lois civiles commentèrent les décisions ecclésiastiques, elles furent inspirées par elles. Ainsi, par exemple, les lois d’Alphonse X de Castille, dans le code des Siete Partidas, les dispositions de saint Louis, celles de Philippe IV, celles des empereurs allemands et des rois polonais. On défendit aux Juifs de paraître en public à certains jours, on leur infligea comme au bétail le péage personnel, on leur interdit quelquefois de se marier sans autorisation.

Aux lois s’ajoutèrent les coutumes, coutumes vexatoires comme celle de Toulouse qui soumettait le syndic des Juifs à la colaphisation. La foule les insultait lors de leurs fêtes et de leurs sabbats, elle profanait leurs cimetières ; au sortir des mystères et des représentations de la Passion, elle livrait leurs maisons au pillage.

Non content de les vexer et de les expulser, on les massacra de toutes parts. Quand les croisés allaient délivrer le saint Sépulcre, ils se préparaient à la guerre sainte par l’immolation des Juifs ; quand la peste noire ou la famine sévissait, on offrait les Juifs en holocauste à la divinité irritée ;