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contre ceux, clercs et laïques, qui se livrent aux pratiques usuraires. Leur sévérité n’empêchait pas absolument l’usure, mais elle la modérait car elle la notait d’infamie. Cependant les conditions sociales étaient telles que l’usure était inévitable et ces conditions, les synodes n’y pouvaient rien changer. Pendant quelques siècles, la féodalité avait dépouillé les communes de leurs biens et avait agrandi ses territoires aux dépens des terres communales ; lorsque le servage disparut, l’esclavage économique se substitua à l’esclavage personnel, une partie de la population paysanne fut obligée au vagabondage, l’autre partie fut soumise au salariat ou vécut comme fermière et tenancière sur le sol qui avait été sien.

En même temps, au douzième et au treizième siècle, le patronat et le salariat se constituèrent, la bourgeoisie se développa, elle s’enrichit, elle conquit des privilèges et des franchises : la puissance capitaliste naquit, et le commerce se transformant, la valeur de l’or augmenta.

Donc, d’un côté des riches, de l’autre des paysans n’ayant pas la terre à eux, soumis à la dîme et aux prestations, des ouvriers dominés par les lois capitalistes. Par dessus tout, des guerres perpétuelles, des révoltes, des maladies et des famines. Que l’année soit mauvaise, que le fisc soit plus dur, que la récolte manque, que la peste arrive, le paysan, le prolétaire, le petit bourgeois sera bien forcé de recourir à l’emprunt. Il faut par conséquent des emprunteurs. Or l’Église interdit le prêt à intérêt, et le capital ne se résout pas à rester improductif ; tant que les décisions ecclésiastiques ont une influence, une grande partie des capitalistes chrétiens ne veut pas entrer directement en rébellion contre son autorité ; aussi se forma-t-il une classe de réprouvés et d’étrangers : des Lombards, des Caorsins, auxquels les princes, les seigneurs conférèrent des privilèges de prêt à intérêt, recueillant une part des bénéfices qui étaient considérables, puisque les Lombards prêtaient à 10 pour 100 par mois. Cela n’empêchait pas les usuriers de terroir ; mais, je l’ai dit, ceux-là trouvaient les entraves que l’Église mettait à leurs opérations. Pour les Juifs, ces entraves n’existaient pas, l’Église n’avait sur eux aucune action morale, elle ne pouvait leur défendre, au nom de la doctrine et du dogme, de pratiquer l’échange et la banque. Les Juifs qui, à cette époque, appartenaient, en majorité, à la catégorie des commerçants et des capitalistes, profitèrent de cette licence et de la situation économique des peuples au milieu desquels ils vivaient. L’autorité ecclésiastique les encouragea dans cette voie