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C’est vers la fin du huitième siècle que se développa l’activité des Juifs occidentaux. À mesure qu’on avance on voit, en effet, grandir chez les Juifs la préoccupation de la richesse, et se concentrer toute leur activité pratique dans un commerce spécial : je veux parler du commerce de l’or. Ici, il est besoin d’insister. On a dit souvent, on répète encore, que ce sont les sociétés chrétiennes qui ont contraint les Juifs à cette fonction de prêteur et d’usurier qu’ils ont remplie pendant fort longtemps : c’est là la thèse des philosémites. D’autre part, les antisémites assurent que les Juifs avaient de naturelles et immémoriales dispositions au commerce et à la finance, et qu’ils ne firent jamais que suivre leur penchant normal, sans que jamais rien ne leur fût imposé. Il y a dans ces deux assertions une part de vérité et une part d’erreur, ou plutôt il y a lieu de les commenter et surtout de les entendre.

Aux temps de leur prospérité nationale, les Juifs, semblables en cela à tous les autres peuples, possédèrent une classe de riches qui se montra aussi âpre au gain, aussi dure aux humbles que les capitalistes de tous les âges et de toutes les nations. Aussi, les antisémites qui se servent, pour prouver la constante rapacité des Juifs, des textes d’Isaïe et de Jérémie, par exemple, font-ils œuvre naïve et, grâce aux paroles des prophètes, ils ne peuvent que constater, ce qui est puéril, l’existence chez Israël de possesseurs et de pauvres. S’ils examinaient impartialement même la législation et les préceptes judaïques, ils reconnaîtraient qu’ils recommandaient de ne jamais prélever d’intérêt sur les prêts[1]. À tout prendre même, les Juifs furent, en Palestine, les moins commerçants des Sémites, bien inférieurs en cela aux Phéniciens et aux Carthaginois. C’est seulement sous Salomon

  1. « Tu ne prêteras point à intérêt à ton frère, ni argent, ni vivres, ni quoi que ce soit ; tu pourras prêter à intérêt à l’étranger (Nochri) », Deutéronome, xxiii, 19, 20.

    Nochri veut dire l’étranger de passage, l’étranger qui réside, c’est le guer.

    « Quand ton frère sera devenu pauvre et qu’il te tendra ses mains tremblantes, tu le soutiendras, même l’étranger (guer) qui demeure dans le pays, afin qu’il vive avec toi. Tu ne tireras de lui ni intérêt, ni usure. » Lévitique, xxv, 35.

    « Jehovah, qui est-ce qui séjournera dans ton tabernacle ? Celui qui ne prête pas son argent à intérêt ». (Psaume XV, 5). Même à un non Juif », ajoute le commentaire talmudique. (Maccoth, I. xxiv).

    (Voir encore Exode, xxii 25 : Philon, de Charitate : Josèphe, Antiquit, Jud., I. IV, chap. viii ; Selden, Selden, I. VI, chap. ix).