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été absolument démontrée ; quant aux bactéries qui se multiplient en se coupant en deux, quel sujet d’étonnement pour les hommes ! Ainsi donc, le fonctionnement humain est ce qui étonne le moins l’observateur humain, et si l’on enseigne la zoologie aux enfants en partant des animaux supérieurs qui nous ressemblent, leur étonnement, d’abord tout à fait nul, s’accroîtra à mesure qu’on abordera l’étude des groupes de plus en plus simples en organisation. Je me souviens avoir été violemment frappé quand j’entendis parler des expériences de Tremblay sur les hydres coupées en morceaux ; mon étonnement fut tel que je me refusai à y croire, quoique je connusse déjà les faits de bouturage, tout à fait analogues, observés chaque jour sur les plantes de notre jardin. C’est que les plantes m’étaient familières et que je ne connaissais d’autre hydre que celle de Lerne dont je me faisais une image fantastique. Et puis l’hydre est un animal, et dans chaque animal nous voyons un homme tant que nous n’avons pas fait un effort pour éviter cette erreur, tandis que les plantes sont trop éloignées de nous et que nous sommes trop habitués à les considérer comme entièrement différentes de nous. J’insisterai tout à l’heure sur cette erreur anthropomorphique si répandue et si naturelle à l’homme.

L’idée de l’homme nous est familière, mais avons-nous le droit de dire pour cela qu’elle est claire pour nous ? Jusqu’à quel point de l’étude de l’homme s’étend cette clarté ? Est-ce que nous savons seulement pourquoi nos cheveux blanchissent quand nous vieillissons ? Encore est-ce là une chose qui ne nous étonne pas parce qu’elle nous est familière, mais notre développement depuis l’œuf nous est moins familier parce que nous ne le voyons pas. Le développement ne fait-il pas partie de l’histoire de l’homme ? Et cependant l’idée que nous nous en faisons est loin d’être claire à moins d’une étude approfondie ; elle n’est en tout cas aucunement plus claire que celle que nous nous faisons d’autres phénomènes également peu familiers comme le développement d’un oursin ou d’une limace. Considéré à cette phase de son existence, la phase du développement fœtal, l’homme est pour nous un objet d’observation extérieure exactement au même titre que l’éponge ou la lamproie ; il ne commence à nous devenir familier qu’à partir de l’âge où nous avons nous-mêmes commencé notre existence subjective, à l’âge où remontent nos souvenirs ; le nourrisson à la mamelle est souvent pour nous un objet d’étonnement ; il cesse de nous intéresser quand le développement de toutes ses facultés en a fait un petit homme. L’observation d’Auguste Comte n’est vraie que pour une cer-