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dans le milieu une concentration suffisante ; un aliment d’une espèce peut donc cesser de jouer le rôle d’aliment, si on lui ajoute quelque chose, et nous aurons à revenir sur cette particularité quand nous nous occuperons des poisons. Dans le cas actuel, nous concevons grossièrement comment se produit l’arrêt de la nutrition sous l’influence de l’alcool concentré ; cet alcool peut empêcher les échanges normaux de substances entre l’intérieur de la levure et le milieu où elle, baigne et cela suspend naturellement les réactions chimiques intracellulaires qui résultent de ces échanges.

Revenons à l’aliment. Le moût de bière est un aliment pour la levure de bière ; la bière est un aliment pour le mycoderme du vinaigre ; suivant les espèces, nous constatons l’emploi des aliments les plus invraisemblables ; l’algue barégine consomme des sulfates et produit comme excrément les sulfures que nous utilisons dans l’eau de Barèges, certaines plantes rongent les rochers… Mais, tel que nous l’avons employé jusqu’à présent, le mot aliment reste assez vague ; plusieurs substances différentes peuvent servir d’aliment à une même espèce vivante ; la levure de bière peut vivre et se multiplier dans du moût de bière ou dans du moût de raisin, voire même dans un liquide artificiel formé d’un mélange de substances chimiques bien définies et connu sous le nom de liquide Pasteur. Le premier exemple d’un aliment artificiel ainsi composé a été fourni par Raulin qui, après dix ans de patients travaux, a obtenu un liquide admirablement propre à servir d’aliment à une petite espèce de moisissure nommée Aspergillus niger. Le liquide Raulin se compose (excusez cette longue énumération) des substances suivantes : sucre, acide tartrique, nitrate d’ammoniaque, phosphate d’ammoniaque, carbonate de potasse, carbonate de magnésie, sulfate d’ammoniaque, sulfate de fer, sulfate de zinc, carbonate de manganèse, eau, oxygène, le tout en proportions définies. Ce liquide est tellement propre à la nutrition de l’aspergillus que, exposé aux poussières si variées de l’atmosphère et recevant, par suite, des germes d’une grande quantité d’espèces vivantes, il se couvre rapidement d’une culture pure d’aspergillus. Cela n’empêche pas d’ailleurs que cette même moisissure puisse pousser, avec plus ou moins de rapidité, sur certaines substances qui ne sont pas le liquide Raulin, sur du vieux pain ou du vieux fromage, par exemple.

Ainsi donc, l’aliment d’une espèce donnée est quelque chose de complexe ; comme nous ne connaissons pas la composition