ou quinze ans, elle quitta le couvent pour se réinstaller chez son parrain. Il y avait entre son cousin et elle la plus gentille affection, l’affection d’un frère et d’une sœur, avec un peu de coquetterie pourtant, et déjà presque (sans qu’ils s’en doutassent, les pauvres enfants !) un petit commencement d’amour, — ou bien, pas de l’amour tout à fait, si tu veux, mais de l’amitié tendre et câline. L’oncle, un ancien capitaine de frégate, aimait que tout fût en ordre et bien organisé chez lui, mais sans avoir à s’en occuper lui-même. Emmeline devint la maîtresse de la maison et pour Henri, son cousin, elle fut une mère très affectueuse et prévenante, une petite mère du même âge, infiniment attentive et indulgente. Le capitaine avait la bonté plutôt brusque et ne perdait pas son temps en caresses. Où la pauvre Emmeline trouva-t-elle, pour l’enfant sans mère, les tendresses maternelles dont elle-même avait été privée dès le berceau ? Dans son cœur, tout simplement, dans son instinct de femme, car les femmes sont avant tout des mères. C’est ce qui fait la singularité et le ridicule de notre position à nous, les vieilles filles : nous sommes des mères sans enfants, des mères manquées. Nous avons toute une réserve d’affections inemployées qui tournent à la minauderie parfois, ou bien que nous dissimulons avec gaucherie sous des airs de sécheresse et de mauvaise humeur… Elle était debout dès l’aube, occupée à tout préparer pour le départ de l’enfant au collège ; elle lui faisait réciter ses leçons ; elle le grondait quand il avait eu de mauvaises notes et jouait avec lui aux heures de récréation. C’était une intimité de toutes les minutes.
Les années passèrent. Bien que très doux au fond et plutôt fille, Henri prit des airs bravaches et la brusquerie exubérante des garçons de dix-sept ans. Il affecta de mépriser tout ce qui l’avait intéressé naguère, les broderies que faisait Emmeline, assise à côté de lui pendant qu’il travaillait, les livres qu’ils lisaient ensemble et que maintenant il trouvait fades, — jusqu’à la conversation de sa cousine, leur tendre et vain bavardage à propos de tout, à propos de rien. Emmeline s’aperçut de ce changement ; elle en souffrit infiniment, sans le dire et sans le laisser voir. Henri, d’ailleurs, avait des retours affectueux qui la remplissaient de joie ; c’était un excellent garçon, incapable de méchanceté, et toutes les sottises qu’il a faites par la suite n’étaient dues qu’à la faiblesse de son caractère. Et puis, comme il arrive, je crois bien que c’est à force de souffrir par lui qu’Emmeline se prit à l’aimer davantage et que son affection devint insensiblement de l’amour, sans qu’elle s’en aperçût. Ses études finies, on ne savait trop que faire de lui ; il parlait vaguement d’entrer dans