forte. Dans les années de pire misère, 1881-82, celui-ci eut beau jeu. Il n’avait plus besoin de tout créer de toutes pièces. Il lui suffisait d’attribuer ou de faire imputer à la Fédération les désordres qu’entraîne infailliblement la famine. Il trouva un homme digne de le comprendre en la personne du gouverneur de Cadix, M. Lonia y Santos, « libéral de bonne source », qui décréta lestement que « pour toute dégradation, incendie qui ne seraient pas prouvés accidentels, seraient considérés comme auteurs les habitants du lieu, ou à défaut ceux qui composent le comité local de la dénommée Association des Travailleurs. »
Mais jusqu’ici Monforte et ses acolytes ne sont révélés que comme des policiers experts en toutes les finesses de leur art, organiser des provocations, atteindre une fédération révolutionnaire sous l’inculpation banale d’association de malfaiteurs, c’est le jeu classique et connu. Il fallait la faire vivre dans l’opinion publique terrifiée, cette association de malfaiteurs, lui donner une existence à la fois concrète et mystérieuse, la rendre visible par un signe aux yeux épouvantés des populations crédules, lui imposer un nom qu’on balbutiera d’une voix tremblante, à la veillée, en épiant dans la nuit le pas du chauffeur. Un de ces hasards qui ne font jamais défaut au génie alluma l’étincelle dans le cerveau de don Tomas. Un jour, dans un des villages où la propagande ouvrière était des plus actives, à Villamartin, il aperçut sur un mur l’empreinte, à l’encre, d’une main. Cette empreinte se reproduisait plusieurs fois. Un individu quelconque s’était renversé un encrier dans la main, et n’avait pas trouvé pour s’essuyer de procédé plus simple. Don Tomas tressaillit. Quel signe de ralliement, quel symbole pour la terrible association ! La Mano Negra, la main noire, quel titre ! Si Don Tomas avait été feuilletoniste, il aurait fait tirer dix mille affiches portant simplement une main noire sur fond blanc, les aurait fait placarder sur tous les murs, et au bout de huit jours, il aurait lancé son roman, précédé d’une incomparable réclame. Don Thomas était policier, il se contenta d’annoncer qu’il avait vu la main noire, et tout le monde crut l’avoir vue ; de plus son bras droit, le fidèle capitaine Oliver, découvrit les statuts de l’association qui ne rêvait que massacre et pillage : il les découvrit par un hasard providentiel : il les découvrit soigneusement rédigés ; il les découvrit sous une pierre, où un affilié les avait cachés ou bien oubliés par une négligence non moins providentielle. La presse officieuse s’évertua : la niaiserie, la crédulité et la peur firent le reste, la légende était créée. L’outil forgé et emmanché, voici comment on s’en servit.