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et qui passe aisément inaperçue ; mais elle est dangereuse, et aggravée peut-être par notre Constitution Républicaine, elle a vicié le principe même de toute République : la souveraineté du peuple sur sa vie politique, la participation de chaque citoyen au gouvernement. Aujourd’hui chaque citoyen est indifférent à la vie politique, et la nation, prise en masse, est indifférente à son gouvernement. C’est là précisément l’état d’esprit qu’on est convenu de nommer « l’Individualisme ». Mais cet annihilement de toute volonté générale, cette langueur torpide où se perd et s’abolit peu à peu la conscience de la nation n’a pas servi seulement à encourager le libre développement, l’épanouissement spontané et sans obstacles des désirs individuels et des volontés particulières ; peu à peu s’est fortifiée cette conviction que l’ensemble des désirs individuels et des volontés particulières suffisait à assurer la vie commune.

Un ami, avec qui je m’entretenais récemment de ce problème réellement passionnant pour les logiciens, m’a répondu : « Pur sophisme. Ce n’est pas l’Apolitique qui a fait l’individualisme, mais bien l’inverse. » Je ne le crois pas, mais, d’ailleurs j’ai toujours manqué de cette virtuosité naturelle à distinguer dans un rapport causal l’antécédent et le conséquent. Ce qui est certain, c’est que l’Apolitique a rompu le lien entre l’individu et la société, et par cela même l’individu s’est persuadé qu’un lien quelconque avec une société quelconque lui était pesant et superflu. — Je ne me mêle de rien, et cependant les choses vont comme de coutume. Je resterai donc inutile et paresseux. — Inutile et paresseux pour tout ce qui touche l’intérêt général, mais, par conséquent, plus attentif et plus actif pour tout ce qui touche notre intérêt propre. L’Apolitique a donc fait comprendre à l’individu, et que toute communion avec les autres individus lui est un labeur inutile, et que c’est pour lui-même qu’il doit dépenser toute son activité. De cette considération on peut conclure que