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qui parfois semblent passionner le public et créer précisément ce que l’on nomme un mouvement d’opinion. Quelques journaux font des Premiers-Paris ; le Temps dément. La nouvelle se confirme. Si le ministre compétent est doué de quelque fermeté ou plus simplement de quelque intelligence, il tient bon, et, la semaine suivante, au premier crime passionnel, tout est oublié. Quelquefois aussi on interpelle, et le ministère tombe, mais la pression de l’opinion n’y a été pour rien. Aussi est-ce un paradoxe bien redoutable d’affirmer que, sous le régime actuel, et pour user d’un cliché consacré, l’opinion est toute-puissante. Elle ne joue exactement aucun rôle. Aussi peu à peu s’est-elle annulée ; on comprend qu’aujourd’hui il n’y ait plus que désintéressement et indifférence pour tout ce qui touche la politique. Il serait injuste de ne pas reconnaître qu’une grande part de mérite en revient aussi à la médiocrité de notre personnel parlementaire. Sur six cents députés on compterait malaisément, aujourd’hui, trente hommes d’une réelle valeur personnelle. C’est un argument spécieux d’en rejeter la faute sur la pauvreté des traditions. Depuis un siècle, il y a en France des traditions, et presque une éducation parlementaire, et d’ailleurs la Constituante ou la Chambre de 1825 étaient d’une moyenne intellectuelle très honorable. Aujourd’hui on en vient à noter comme un événement extraordinaire que M. Challemel-Lacour a fait un discours correct, et la pénurie d’orateurs est telle qu’on n’a pas assez de guirlandes pour la rhétorique ampoulée et théâtrale d’un M. de Mun.

Depuis un siècle il en est ainsi, parce que la Révolution a été une Révolution de mots, non de choses, parce qu’elle a changé les idées de gouvernement, sans changer les moyens de gouvernement. On nous apprend et on nous répète que le peuple est tout-puissant, et nous impose des constitutions monarchiques et centralisatrices ; on conserve aux administrations publiques la forme et les traditions de Louvois et de