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demande ; quand ils sont réactionnaires, ils ne font rien. Tout les pouvoirs politiques sont au Parlement, et comme la loi ne reconnaît pas le mandat impératif, quelle peut être l’influence de l’électeur sur l’élu ? Il peut lui confier des démarches personnelles, des visites aux personnages officiels et des commissions dans les grands magasins ; aucune communauté d’action et de pensée n’est possible entre eux. Jamais l’apolitique ne deviendra, ni en Suisse, ni aux États-Unis, un état d’esprit inquiétant. Dans une République Fédérale, par un effet naturel et spontané de la Constitution, chaque citoyen a une portion de pouvoir et comme un fragment de responsabilité. De plus les consultations populaires sont plus fréquentes. Chez nous, toute autorité législative est concentrée dans le Parlement, ou, plus exactement, dans une des Chambres ; toute autorité exécutive entre les mains des ministres. De sorte que le peuple français se fiant à quelques expressions d’un sens mal défini vit avec l’illusion de sa toute-puissance, alors qu’il n’a pas la moindre action sur son gouvernement et sur sa vie. Il prend part au scrutin d’où tout dépendra dans une inconscience totale, guidé uniquement par des intérêts ou des préjugés locaux ; ou bien il s’abstient. Il y a vingt ans que M. Rochefort faisait déjà remarquer que les élections générales pouvaient se ramener à un plébiscite organisé par M. Abstention. Et pour quatre ans, la machine est remontée.

Ce n’est pas seulement dans les questions graves, et vraiment dignes d’intéresser la vie publique, mais dans les plus menus faits, dans les plus légers événements que se révèle cette impuissance du public à faire triompher ses sentiments. Si l’on tient notre avis pour négligeable, dès lors pourquoi le donner ? C’est l’hypocrisie du régime sous lequel nous luttons pour vivre de laisser s’exprimer librement les opinions pour permettre qu’ensuite il n’en soit tenu aucun compte. On en aura la preuve en se reportant à ces petits incidents politiques