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fait pour des raisons esthétiques ou sentimentales, non pas guidés par une conviction personnelle ou par une opinion réfléchie. Mon ami Henry Bérenger me ferait une autre objection. Pourquoi comptes-tu, me dirait-il, la jeunesse des Écoles ? Elle a eu sa presse militante ; elle a poussé jusque devant l’hôtel du Louvre, sur l’air des Lampions, la circonflexion de ses monômes. Je doute un peu, et qu’en la jeunesse des Écoles soit vraiment l’élite intellectuelle de la nation, et que ces manifestations, pour bruyantes qu’elles furent, aient relevé d’un sincère et réel enthousiasme politique. Il faut toujours compter, quand il s’agit de jeunes gens, avec le désir, infiniment naturel d’ailleurs, de casser des carreaux, d’étonner les gens qui passent, et de s’en aller l’un derrière l’autre comme des ministres que la Chambre vient de renverser. Ce qu’on ne contestera pas, c’est que le succès du général Boulanger n’aurait provoqué ni une insurrection populaire, ni même une indignation bien prolongée. Personne ne serait descendu dans la rue ; personne ne descendra plus jamais dans la rue. M. Reinach aurait frappé les pavés, sans en faire sortir des légions. Il n’aurait même pas pu se faire tuer sur une barricade — ce qui est un moyen usé mais commode d’arriver à la gloire civique — parce qu’il n’y aurait pas eu de barricades. Le premier moment de surprise passé, chacun aurait vaqué à ses affaires, rouvert sa boutique et fauché son herbe. Les lycées se seraient rouverts et un corps de professeurs soigneusement épuré aurait préparé les jeunes générations à supporter avec la même indifférence les révolutions futures.

Tel est l’état actuel. La vie publique est infiniment restreinte, et indifférente au reste de la nation. Non seulement les questions de théories ne passionnent plus — essayez de grouper, dans un meeting sur la Révision constitutionnelle, quinze cents électeurs impartiaux — mais les questions matérielles et qui intéressent le bien-être physique se discutent dans une poussière