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Là les femmes travailleront sous la surveillance, rien moins que maternelle, des sœurs de St-Joseph de Cluny qui, à la moindre incartade, les enverront au « jetard » ou cellules de correction, situées sous les combles.

Toutefois on entre aisément dans les bonnes grâces, des servantes du Seigneur par quelques offrandes sagement multipliées, que celles-ci savent adroitement provoquer : pour mettre un cierge à la chapelle, pour revenir à la vertu, pour l’âme de telle femme morte à la prison, pour « boire la gobette » ou verre de vin de la cantine, dont les bonnes sœurs se contentent d’empocher le prix. — Les femmes qui n’ont pas d’argent ne peuvent obtenir que rigueurs et c’est souvent une cause de désordre dans le désordre. Nous ne disons pas tout…

Ajoutons que parmi les sœurs, les débutantes s’efforcent d’être justes et compatissantes ; mais elles se voient rabrouées par les vieilles.

On se couche à 7 heures en des lits à paillasse ou sur des paillasses sans lit quand le contingent habituel est dépassé. On se lève à 4 h. 1/2 ; autrefois le cri de « Vive Jésus » était le signe du réveil ; maintenant c’est le signe de la croix suivi de cantiques.

À quoi travaillent les femmes de St-Lazare ? On n’a pas encore établi pour elles le tread mill ou roue à marcher de nos anciens bagnes métropolitains, comme le demandait la police. Il existe un entrepreneur de travaux de couture. En janvier et février dernier, avant les expositions de blanc des grands magasins, on amenait à St-Lazare, tous les jours, de 80 à 100 femmes ; les ateliers qui en renferment ordinairement 40 en contenaient une centaine, renouvelées tous les 4 jours en moyenne, serrées comme des sardines : les pouilleuses, les galeuses et les propres.

Un seul atelier envoya d’une fois aux magasins du Printemps quelques jours avant l’exposition de blanc (3 février) 56 paquets de 12 paires de drap chacun. Une femme gagne 4 sous pour ourler un drap, après avoir payé de sa poche fil et aiguille, mais la moitié, soit 2 sous, appartient de droit à l’Administration.

Quand les expositions de blanc furent terminées les paniers à salade n’amenaient guère qu’une vingtaine de femmes par jour ; un jour le 7 mars, sept seulement ; le reste était mis en liberté à la Préfecture ou conservé seulement 2 jours au Dépôt.

À St-Lazare les légumes servis au bouillon du matin comme à la soupe de quatre heures sont d’infects résidus de greniers où rats, souris et calandres ont laissé plus de déjections que d’albumen ; à St-Lazare, boulangerie centrale des prisons de la Seine, le pain est immangeable ; la viande, donnée le dimanche seulement, est le plus souvent pourrie et les femmes sortent malades[1].

  1. Le dimanche 7 juillet 1901, les 300 femmes que contenaient les ateliers de Saint-Lazare furent malades après avoir mangé le bœuf pourri qu’on avait bien voulu leur octroyer ce jour-là. La même chose était arrivée les deux dimanches précédents.

    Réclamation ; les sœurs font miroiter la cellule de punition ; le directeur répond aux femmes qu’elles n’en « ont pas autant à manger au dehors ».