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moins d’une heure. Aussi personne ne conteste : 1° l’inefficacité de cette visite pour reconnaître les maladies ; 2° les nombreuses contagions qu’elle détermine, comme le bon sens l’indique et comme M. Fournier le reconnaît. C’est là une des principales cause de l’augmentation de la syphilis.

Il faut dire aussi à la louange des médecins du dispensaire que, souvent, ils se contentent de jeter un coup d’œil sur les muqueuses buccales.

Nous n’insisterons pas sur les révoltes, les crises nerveuses, etc. qui se produisent en ce repaire du viol policier. Les agents sont là, et les bonnes cellules, qui mettront à la raison les récalcitrantes.

Les femmes reconnues malades, qu’elles proviennent des rafles de la veille ou qu’elles soient retenues à leur visite bimensuelle, iront à St-Lazare où elles seront traitées, non comme des malades, mais comme des coupables, soumises, quoi qu’aient pu faire en cela les médecins de l’hôpital-prison, à une nourriture débilitante, bien faite pour annihiler toute résistance organique au développement de la maladie. Avant la campagne abolitionniste les soins donnés à St-Lazare tenaient plus de la main du bourreau que de celle du médecin ; il y aurait encore beaucoup à dire, mais il faut toutefois reconnaître certaines atténuations. D’ailleurs, une fois guéries, les femmes n’ont plus à subir, dit-on, aucune punition, pour avoir été malades. Cette coutume existe encore dans certains régiments.

Iront aussi à St-Lazare les condamnées de la 3e section. Vers 5 heures les voitures cellulaires les emportent pêle-mêle, à la sombre bastille du Faubourg St-Denis, celle dont M. Léo Melliet demandait le 20 janvier à la Chambre la suppression.

Pendant les chaleurs de l’été, une bonne partie des femmes, descendant des voitures méphitiques, où elles étouffent, dans les cours glaciales de la géhenne, s’évanouissent ; mais les esclaves ont la vie dure : on n’y prend pas garde.

Un gardien appelle les noms et demande les domiciles ; il inscrit le tout. Il faut noter immédiatement que ce gardien constitue à lui tout seul — comme le sous-chef de la 3e section — un autre tribunal d’exception, mais qui fonctionnera à la sortie des condamnées.

À ce moment, en effet, le même gardien redemande aux femmes les mêmes renseignements et au cas où celles-ci, qui ne tiennent pas à signaler leurs véritables domiciles à la police, se trompent, il les renvoie en prison… jusqu’à ce qu’elles se soient rafraîchi la mémoire, et sans autre vérification d’ailleurs. Le 5 avril 1902 une femme fut retenue 24 heures parce qu’elle ignorait dans quel arrondissement se trouvait sa rue.

Une fois inscrites au greffe de St-Lazare, les femmes sont fouillées et passent dans la 2e section qui leur est réservée dans les cours.

Elles sont réparties en quatre ateliers froids et nauséabonds ; il n’en existait jusqu’à cette année que trois ; mais on est tellement disposé à démolir St-Lazare qu’on vient d’en construire un quatrième.