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Rejoignons la théorie des esclaves qui, pourvues de leurs condamnations, passent sans transition, du bureau de la 3e section, aux spéculums du dispensaire.

Les choses vont là non moins rapidement. D’abord, comme les médecins du dispensaire aiment la propreté, les filles doivent, avant de se préparer à leur examen, se laver toutes à la file dans la même cuvette, dont elles changent l’eau au moyen d’un robinet. L’opportunité de cette mesure n’échappera à personne, surtout si on se rappelle que Ricord a établi qu’une seule goutte de pus vénérien diluée dans un verre d’eau, suffit à assurer la contagion.

Un agent de police muni d’un registre, appelle les noms et prend les cartes pour les estampiller, les « taxer », — c’est le mot consacré, sans doute parce que les filles payaient et paient encore, dans certaines villes, 3 francs par visite.

Or. voici comment se passe cette visite : un jeu de spéculums de dimensions diverses plongent dans un même pot de vaseline. Dès que l’un d’eux a servi, la « panseuse » l’essuie sommairement d’une serviette qui servira pour tous, le replonge dans la vaseline, et… il attend une autre patiente.

« M. Routier de Bullemont, rapporte Yves Guyot dans son admirable livre la Prostitution[1], (p. 293), disait un jour devant moi, pour vanter l’habileté de M. Clerc, le médecin en chef du dispensaire, qu’il visitait cent vingt femmes à l’heure, deux par minute ! »

Ce sont également les chiffres donnés par la police, par exemple par M. Carlier (période de 1855 à 1870). — Rien n’est changé depuis. Condamnées en moins d’une heure, cent femmes sont également visitées en

    lûmes nous interposer et suivîmes le convoi au poste où Z fut durement jetée sur les dalles. Pendant notre déclaration (nous eûmes d’ailleurs à subir les injures et les menaces des policiers Z put se relever, demanda à boire et lança le reste d’un gobelet d’eau à le tête d’un sous-brigadier, disant : « Je ne serai pas cette fois condamnée pour rien ». Elle fut immédiatement rouée de coups. Plus de six semaines après, lors du jugement elle en portait encore les traces et le coup de pied de l’agent Cousin l’empêchait encore de descendre les escaliers de Saint-Lazare sans être soutenue.

    Le lendemain de son arrestation, elle voulut réclamer auprès du commissaire de polices mais ce fonctionnaire l’injuria cependant qu’un agent zélé lui crachait à la figure.

    Elle fut l’objet de l’accusation classique d’outrage à la pudeur et aux agents, voire de rébellion et coups envers ceux-ci. Le service des mœurs sut nourrir son dossier, car la préfecture de Police, elle aussi a son 2e bureau et ordonna sur nous-mêmes plusieurs enquêtes où, à défaut, d’autres accusations, nous fûmes honoré du titre d’individu louche. Z, condamnée d’ailleurs en dehors à de notre témoignage, eut six mois de prison.

    Sa peine finie et après de longues et douloureuses péripéties que nous ne narrerons pas, Z., qui travaillait assidûment depuis plus de trois mois et qui était munie d’excellentes références, sollicita sa radiation. Elle fut alors spécialement filée, et, le 5 août dernier, elle fut arrêtée au sortir d’un café de l’avenue d’Antin, où elle avait apporté un chapeau confectionné par elle. Ses réclamations causèrent de nouvelles enquêtes dont elle attendit cinq jours durant le résultat sur les planches du dépôt. Elle ne dut sa libération qu’à une intervention spéciale, sortit presque folle et est encore malade, sans aucun espoir d’échapper à ses bourreaux.

  1. Fasquelle, 7e édition, 3 fr 50.