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La Prostitution
et la Police des Mœurs


Les révolutions politiques et le progrès des sciences ont sans doute depuis la fin du xviiie siècle modifié profondément notre droit public et notre conception des rapports sociaux, mais ils n’ont pas assez modifié les administrations qui doivent assurer la pratique quotidienne des principes nouveaux. Et si le Parlement français entreprenait, comme le firent en 1872 les Chambres anglaises, la révision des règlements contraires à l’esprit comme à la lettre des lois nouvelles, sans doute en supprimerait-il également quelque douze cents.

Cette opération amènerait, entre autres réformes, et plus d’un siècle après la déclaration des Droits de l’Homme, la suppression de l’esclavage en France.

Car il est actuellement dans ce pays une classe importante d’êtres pour qui l’esclavage existe rigoureusement, et tel qu’il ne fut jamais plus étroit en aucun temps ni en aucun lieu.

C’est la classe des prostituées.

Et il existe une autre classe d’êtres qui appliquent à ces femmes, que d’inexorables lois économiques astreignent à se vendre, une réglementation grotesquement féroce, issue de leur propre initiative.

Ou plutôt, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas à la classe totale des prostituées qu’ils l’appliquent, mais à son énorme prolétariat. Car la police se découvre avec respect devant ses patriciennes et fournit même des gardes d’honneur aux hôtels des prostituées riches.

Quels que soient les efforts des congrès et de la presse contre la police des mœurs, cette institution, pour ne plus couper aux femmes le nez, la langue ou les oreilles, reste comparable à ce qu’elle fut au moyen âge.

Mêmes procédés d’enlèvement brutaux, de coups, d’insultes, de séquestration arbitraire en des geôles puantes, humides, grouillantes de vermine, avec alimentation infecte ; même délaissement des femmes quant aux soins que leur santé réclame le plus souvent après les commotions de leur arrestation ou de leur détention ou par suite de leur état de misère ; soins le plus souvent brutaux dans les services de médecine ou de chirurgie où elles sont admises et dont les locaux en général seraient jugés trop défectueux pour le bétail ; enfin même exploitation pécuniaire.

Le préfet de police ou le ministre de l’Intérieur déclarent périodiquement à la tribune du Conseil municipal ou des Chambres (Voir, par