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des accès de fureur poétique ; l’existence des dieux était un mystère de la seconde catégorie ; la vie est de la première, et dire que la vie est aussi inexplicable que les dieux, c’est se tromper volontairement. La chimie ne nous permet pas encore de répondre d’un seul mot aux poètes qui nous interrogent sur la nature de la vie, mais nous sommes déjà en mesure d’affirmer que la vie consiste en transformations de mouvement exactement du même ordre que celles dont la matière brute est l’objet ; ces transformations on les étudie, et on les connaîtra un jour en entier. Il restera ensuite, pour la vie comme pour la matière brute, le mystère de l’existence même des choses, mystère de la seconde catégorie de tout à l’heure, et que les philosophes négligeront comme métanthropique. Cela ne les empêchera pas d’ailleurs de goûter la fiction des poètes et leur belle langue imagée, mais ils se défieront précisément de la magie de cette belle langue qui a souvent été si nuisible à la clarté des discussions [1].

L’abbé Hébert ayant démontré qu’il est illogique de croire à un Dieu personnel, y substitue le Divin qui guide le monde vers le mieux, vers le plus parfait. Croire que le monde s’améliore sans cesse, c’est une illusion agréable et susceptible de donner lieu à des développements littéraires, mais il n’est pas scientifique de faire de cette croyance le point de départ d’un raisonnement. Qu’est-ce qui est mieux ? Est-ce que la disparition des iguanodons et des plésiosaures a été une amélioration ? Est-ce que l’écrêtement des montagnes par les actions atmosphériques rend le monde plus parfait ? J’admets qu’il y a un perfectionnement de la condition des hommes à mesure que l’humanité vieillit ; je souhaite de toutes mes forces que ce perfectionnement aille croissant de jour en jour, mais ce n’est là qu’une notion purement anthropocentriste et qui ne permet pas d’affirmer avec l’abbé Hébert : « La résultante des forces du monde est orientée vers le bien. » Et même, si nous regardons plus loin, quelle nous paraît être la destinée de l’homme ? Les générations naîtront et mourront successivement, jusqu’au jour où il n’y aura plus d’êtres

  1. Dans le Temple enseveli, ouvrage poétique mais philosophique aussi, Maeterlinck s’étonne que nous ne connaissions pas l’avenir qui, dit-il, doit exister aujourd’hui de même qu’existe une ville lointaine avant que nous l’ayons vue. Il y a des comparaisons dangereuses, et celle-ci en est une ; on ne saurait établir d’analogie entre la situation de l’homme dans l’espace et sa situation dans le temps. En particulier, ce que nous appelons le passé, c’est l’ensemble des mouvements desquels résulte le présent ; nous-mêmes, dans le présent, résultons d’un certain nombre des mouvements passés et c’est pour cela que nous connaissons quelques-uns des mouvements passés : au contraire, l’avenir, ce sont des mouvements qui résulteront des mouvements présents et qui, entre autres choses, feront que certains êtres connaîtront plus tard, des événements actuels. Vouloir connaître l’avenir, c’est oublier de parti-pris, le mécanisme même de la connaissance humaine.