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vante : Omne quod movetur ab alio movetur [1]. Une pierre qui gît sur le chemin se mettra en mouvement si je lui donne un coup de pied ; voilà la comparaison grossière de laquelle on conclut que si mon corps bouge, c’est parce que j’ai une âme qui le meut, que s’il y a du mouvement au monde, c’est parce qu’il y a, un primum movens qui est Dieu.

La pierre qui gît sur le chemin nous paraît sans mouvement, saint Thomas la croyait telle ; elle ne l’est pas, et c’est là ce qui fausse tout le raisonnement. S’il n’y avait au monde que des corps fluides comme l’air atmosphérique et l’eau des rivières, nous n’aurions peut-être, pas eu, aussi facilement l’idée instinctive que la matière est immobile par elle-même ; et cependant, l’eau d’une barrique, l’air enfermé dans une bouteille, nous paraissent au repos absolu, mais c’est surtout de l’observation des corps solides qu’est provenue cette notion funeste de l’immobilité des choses. Le corps des animaux, en particulier, nous paraît dépourvu de mouvement quand il est au repos, et c’est pour cela que nous lui attribuons la création d’un mouvement quand il se déplace pour donner un coup de pied à une pierre sur la route. Or, l’observation la plus grossière nous prouve que, même en repos apparent, le corps des animaux est le siège d’un mouvement incessant ; le cœur bat, le sang et la lymphe circulent dans tout l’organisme avec une grande rapidité, et, phénomène moins facile à observer mais non moins certain, des mouvements chimiques incessants (oxygénation, assimilation), ont lieu dans l’intimité de tous les tissus. Suivant les cas, ces petits mouvements microscopiques se traduisent, ou non, par des mouvements macroscopiques, mais le mouvement d’ensemble n’est qu’une synthèse de petits mouvements qui ne cessent jamais.

La matière vivante est donc le siège d’un mouvement incessant, la matière brute l’est aussi.

Je vois cette pierre, parce ses éléments vibrent sans cesse avec une effrayante rapidité et transmettent leur mouvement à mon œil ; cette pierre a une certaine température, parce que ses éléments vibrent sans cesse d’un mouvement qui se traduit chez nous par une sensation de chaleur ; cette pierre pèse, sans cesse, sur le sol, parce que ses éléments sont le siège d’un mouvement incessant dont la synthèse se traduit par une pression ; de même l’eau de la barrique presse sur les parois de la barrique, parce que ses éléments se meuvent sans cesse ; si je pratique un trou dans la paroi de la barrique, ces mouvements élémentaires, au

  1. Tout être mis en mouvement, est mis en mouvement par un autre être.