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jours, en changeant nous-mêmes subitement, par rapport à un végétal vivant, les circonstances dans lesquelles lui et tous les individus de son espèce se rencontraient.

« Tous les botanistes savent que les végétaux qu’ils transportent de leur lieu natal dans les jardins pour les y cultiver, y subissent peu à peu des changements qui les rendent à la fin méconnaissables. Beaucoup de plantes très velues naturellement y deviennent glabres ou à peu près ; quantité de celles qui étaient couchées et traînantes, y voient redresser leur tige ; d’autres y perdent leurs épines ou leurs aspérités ; d’autres encore, de l’état ligneux et vivace que leur tige possédait dans les climats chauds qu’elles habitaient, passent, dans nos climats, à l’état herbacé, et parmi elles, plusieurs ne sont plus que des plantes annuelles ; enfin, les dimensions de leurs parties y subissent elles-mêmes des changements très considérables. Ces effets des changements de circonstances sont tellement reconnus, que les botanistes n’aiment point à décrire les plantes des jardins, à moins qu’elles n’y soient nouvellement cultivées.

« Le froment cultivé (triticum sativum) n’est-il pas un végétal amené par l’homme à l’état où nous le voyons actuellement ? Qu’on me dise dans quel pays une plante semblable habite naturellement, c’est-à-dire, sans y être la suite de sa culture dans quelque voisinage ?

« Où trouve-t-on, dans la nature, nos choux, nos laitues, etc., dans l’état où nous les possédons dans nos jardins potagers ? N’en est-il pas de même à l’égard de quantité d’animaux que la domesticité a changés ou considérablement modifiés. »

Il est donc bien établi que les êtres vivants subissent des modifications sous l’influence d’un changement prolongé dans les conditions de milieu. Mais comment ces changements se produisent-ils ?

Occupons-nous particulièrement des animaux (p. 73) :

« L’animal qui vit librement dans les plaines où il s’exerce habituellement à des courses rapides ; l’oiseau que ses besoins mettent dans le cas de traverser sans cesse de grands espaces dans les airs ; se trouvant enfermés, l’un dans les loges d’une ménagerie ou dans nos écuries, l’autre dans nos cages ou dans nos basses-cours, y subissent, avec le temps, des influences frappantes, surtout après une suite de générations dans l’état qui leur a fait contracter de nouvelles habitudes.

« Le premier y perd en grande partie sa légèreté, son agilité ; son corps s’épaissit, ses membres diminuent de force et de souplesse, et ses facultés ne sont plus les mêmes ; le second devient lourd, ne sait presque plus voler, et prend plus de chair dans toutes ses parties. »

Voilà l’observation infiniment simple qui a conduit Lamarck a l’exposé de ses deux admirables lois : La première est appelée la loi de l’habitude et de la désuétude :

« Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développements, l’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque, fortifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit et lui donne une puissance