ait conduit Lamarck à des découvertes durables ; son œuvre respire partout l’honnêteté scientifique la plus pure. Et cependant, ce n’est pas la méthode seule, quelque excellente qu’elle soit, qui peut faire comprendre l’immensité de l’œuvre. Lorsque l’on réfléchit au petit nombre des documents incomplets rassemblés à cette époque dans les collections, lorsque l’on pense surtout à la généralité, au commencement du xixe siècle, de la croyance en une création d’espèces distinctes et fixes, on ne peut s’empêcher d’être saisi d’admiration devant la naissance de l’idée transformiste dans un cerveau humain. S’il faut conserver le mot génie, mot si mal défini et dont on a fait un usage si immodéré, c’est sûrement à des œuvres comme celle de Lamarck qu’il faut l’appliquer. Il a été de plus d’un demi-siècle en avance sur ses contemporains qui, naturellement, n’ont pu l’apprécier à sa juste valeur.
Mais une chose qui étonnera plus encore, peut-être, que la nouveauté de l’idée transformiste, c’est la simplicité des moyens par lesquels elle est née chez Lamarck :
« Comment pouvais-je, dit-il (Avertissement p. ii) envisager la dégradation singulière qui se trouve dans la composition des animaux, à mesure que l’on parcourt leur série, depuis les plus parfaits d’entre eux jusque aux plus imparfaits, sans rechercher à quoi peut tenir un fait si positif et aussi remarquable, un fait qui m’est attesté par tant de preuves ? Ne devais-je pas penser que la nature avait produit successivement les différents corps doués de la vie, en procédant du plus simple vers le plus composé ; puisqu’en remontant l’échelle animale depuis les animaux les plus imparfaits jusqu’aux plus parfaits, l’organisation se compose et même se complique graduellement dans sa composition, d’une manière extrêmement remarquable ?
« Cette pensée, d’ailleurs, acquit à mes yeux le plus grand degré d’évidence, lorsque je reconnus que la plus simple de toutes les organisations n’offrait aucun organe spécial quelconque [1] ; que le corps qui la possédait n’avait effectivement aucune faculté particulière, mais seulement celles qui sont le propre de tout corps vivant ; et qu’à mesure que la nature parvint à créer, l’un après l’autre, les différents organes spéciaux et à composer ainsi de plus en plus l’organisation animale, les animaux selon le degré de composition de leur organisation, en obtinrent différentes facultés particulières, lesquelles, dans les plus parfaits d’entre eux, sont nombreuses et fort éminentes. »
L’auteur revient à plusieurs reprises sur cette dégradation que l’on constate dans le règne animal ; or il est bien certain que l’emploi seul du mot dégradation indique une méthode contraire à la méthode naturelle ; c’est qu’il y a cent ans, on avait l’habitude de considérer l’étude de l’homme et des animaux supérieurs comme le point de départ normal de toute recherche sur les êtres vivants. Lamarck eut donc à lutter,
- ↑ Ceci ne serait rigoureusement vrai que pour les monères auxquelles Haeckel a cru et qui ont probablement existé jadis si elles n’existent plus aujourd’hui.