Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/363

Cette page n’a pas encore été corrigée

caractéristiques d’entre eux et je suis sûr que, si l’on veut bien penser, en les lisant, à l’état des connaissance humaines au moment où Lamarck a écrit, on ne pourra s’empêcher d’éprouver devant la manifestation de son génie un frisson d’admiration enthousiaste.

« Les œuvres de Lamarck, écrit Darwin, me paraissent extrêmement pauvres ; je n’y trouve pas un fait, pas une idée. » Cette appréciation injuste a été acceptée par Huxley et par les plus célèbres des néo-darwiniens. Il est donc à craindre que l’on me reproche une partialité en sens contraire et que l’on m’accuse d’avoir trouvé dans Lamarck autre chose que ce qu’il a réellement pensé et écrit. Aussi m’astreindrai-je à citer textuellement ses phrases mêmes ; j’espère arriver à montrer ainsi, sans laisser subsister aucune doute à ce sujet, que, quoi qu’en dise Darwin (qui d’ailleurs lisait mal le français et a pu ignorer beaucoup, de Lamarck), la Philosophie zoologique contient, clairement exprimées, la plupart des idées défendues par les transformistes au xixe siècle, sauf peut-être la sélection naturelle qui n’est pas la plus féconde ou, du moins, pas la seule féconde.

Lamarck a aimé la science ; il lui a dû les seules joies de sa vie triste ; il en parle avec reconnaissance (Avertissement, p. xxiii) :

« … En me livrant aux observations qui ont fait naître les considérations exposées dans cet ouvrage, j’ai obtenu les jouissances que leur ressemblance à des vérités m’a fait éprouver, ainsi que la récompense des fatigues que mes études et mes méditations ont entraînées ; et en publiant ces observations, avec les résultats que j’en ai déduits, j’ai pour but d’inviter les hommes éclairés qui aiment l’étude de la nature, à les suivre et à les vérifier et à en tirer de leur côté les conséquences qu’ils jugeront convenables. »

Ce ne sont pas là de simples joies de collectionneur, mais des joies de vrai savant. Depuis Lamarck, il faut substituer les sciences naturelles à l’histoire naturelle ; il ne faut pas se contenter de décrire minutieusement les formes vivantes, il faut une philosophie zoologique :

« La nécessité reconnue de bien observer les objets particuliers a fait naître l’habitude de se borner à la considération de ces objets et de leurs plus petits détails, de manière qu’ils sont devenus, pour la plupart des naturalistes [1], le sujet principal de l’étude. Ce serait cependant une cause réelle de retard pour les sciences naturelles, si l’on s’obstinait à ne voir dans les objets observés que leur forme, leur dimension, leurs parties externes même les plus petites, leur couleur, etc., et si ceux qui se livrent à une pareille étude dédaignaient de s’élever à des considérations supérieures, comme de chercher quelle est la nature des objets dont ils s’occupent, quelles sont les causes des modifications ou des variations auxquelles ces objets sont tous assujettis, quels sont les rapports de ces

  1. Ce sont les naturalistes que nous appelons aujourd’hui les coquillards.