Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/362

Cette page n’a pas encore été corrigée

Lamarck


… Cette apparence de stabilité des choses dans la nature sera toujours prise, par le vulgaire des hommes, pour la réalité ; parce qu’en général, on ne juge de tout que relativement à soi.
Philosophie zoologique, p. 70


Le nom de Darwin est universellement connu ; celui de Lamarck était presque ignoré, il y a quelques années, en dehors du monde des naturalistes, et cependant on ne peut plus douter aujourd’hui qu’il ne doive prendre place au premier rang parmi les hommes qui ont honoré la science et l’humanité.

Un savant américain, A. S. Packard, vient de consacrer à la mémoire de Lamarck un fort beau livre [1] dans lequel il a pieusement recueilli tous les documents relatifs à notre grand évolutionniste depuis son acte de naissance et la photographie de sa maison natale, jusqu’à la détermination difficile de l’endroit où il fut enterré au cimetière Montparnasse, dans une fosse sans nom, et d’où, ses os inconnus furent extraits peu après pour être portés aux catacombes.

Je ne m’occuperai pas ici de l’homme ; je veux seulement montrer que son œuvre, si peu appréciée pendant trois quarts de siècle, méprisée même de Darwin qui ne l’a pas égalée, est encore aujourd’hui une source féconde à laquelle tous les savants ont avantage à puiser. Il y a certainement dans la Philosophie zoologique [2] quelques erreurs provenant de l’état rudimentaire de la science au commencement du xixe siècle, mais ces erreurs sont beaucoup plus minimes qu’on n’eût pu le supposer ; si l’on fait abstraction de quelques considérations sur les « fluides », considérations que le peu d’avancement des sciences physiques imposait à tous les penseurs de cette époque, on reste étonné de l’ampleur de ce génie qui, en même temps qu’il devinait la transformation des espèces, trouvait aussi la véritable nature des facteurs de cette transformation. Le livre de Darwin, avec ses semblants d’explication, a été plus favorablement accueilli du public ; c’est que le public était autre au moment où parut l’Origine des espèces ; les arguments de la Philosophie zoologique, tout en donnant un système beaucoup plus complet que celui de la « sélection naturelle », sont sans aucun doute aussi clairs et aussi intelligibles pour le lecteur. Je le prouverai dans cet article en reproduisant, sans les modifier, les plus

  1. A. S. Packard : Lamarck, the founder of Evolution, hit life and work. New York.
  2. J. B. P. A. Lamarck : Philosophie zoologique. Paris, 1809.