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certain amour-propre à le constater ; elles semblant trouver dans cette affirmation un motif suffisant pour expliquer la vie qu’elles mènent. Si l’infime minorité seulement avoue ce motif, c’est qu’il n’existe pas, pour le plus grand nombre. Avant nous, Parent-Duchatelet avait émis une opinion analogue, lorsqu’il dit : « Il y a des filles qui se livrent à la prostitution par suite d’un dévergondage qu’on ne peut expliquer chez elles que par l’action d’une maladie mentale qui diminue beaucoup la culpabilité aux yeux de celui qui les observe et qui les étudie de près ; mais, en général, ces Messalines sont rares. » La Prostitution clandestine à Paris, par le Dr O. Commenge, médecin en chef du dispensaire de salubrité de la Préfecture de Police.

Dans l’ensemble des jeunes insoumises reconnues malades pendant la période de 1878 à 1884, nous avons trouvé 692 orphelines, dit le docteur Commenge ; il y avait en outre, 456 jeunes filles qui avaient perdu leur mère.

Voici deux exemples-types cités par M. Commenge :

Le 4 décembre 1878 la nommée M… Elvire, âgée de vingt et un ans, née à Milan se présente à la préfecture de police pour être inscrite sur les registres de la prostitution, afin d’entrer dans une maison de tolérance. L’examen médical ayant démontré que cette jeune fille n’était pas déflorée, elle fut signalée par une note spéciale à l’administration : on insiste pour qu’elle ne donne pas suite à sa détermination, en lui faisant comprendre toute la tristesse de la vie qu’elle veut embrasser. Les observations restent sans effet et M.., qui était majeure, paraissant bien décidée à vivre de la prostituton, on ajourne l’inscription en décidant qu’elle passerait devant la commission d’inscription. Ce répit fait réfléchir la jeune fille qui, rentrant en elle-même modifie insensiblement ses dispositions et n’hésite plus à raconter son histoire. Elle avait perdu sa mère depuis quelques années et vivait avec son père en Italie ; mais à la mort de celui-ci, survenue récemment, elle a quitté Milan pour venir travailler à Paris comme couturière. Elle est à Paris depuis vingt-deux jours, sans avoir pu, malgré de nombreuses démarches, obtenir du travail ; après avoir épuisé le peu d’argent qu’elle possédait, se trouvant sans ressources et ne voulant pas mourir de faim, elle avait écouté des conseils qui lui avaient été donnés et avait pris la résolution d’entrer dans une maison publique pour vivre de la prostitution.

L’autre cas est celui-ci de C… Émile, âgée de seize ans et demi, née à Paris qui est orpheline.

Elle a une sœur mariée à un ouvrier, chez laquelle elle a habité pendant quelque temps et à qui elle remettait le peu qu’elle gagnait comme apprentie chapelière, c’est-à-dire 1 fr. 50 par jour.

Le beau-frère trouvant que la présence de cette jeune fille chez lui augmentait les charges du ménage, lui fit comprendre, qu’il ne pouvait la garder plus longtemps et qu’elle devait chercher une place. Elle quitte le domicile de sa sœur, fort triste, la bourse à peu près vide, ne sachant où aller se loger, ignorant où elle trouverait les ressources nécessaires pour se nourrir. Après quelques tentatives infructueuses pour avoir une