Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’univers qui lui apparaît alors est sans relief et monotone comme un trop long discours : c’est un monde formel et vide que l’école a fabriqué avec des mots.

À l’âge de dix-sept ou de dix-huit ans un écolier a déjà subi huit mille leçons environ et le nombre des mots que ses maîtres ont débités devant lui est fabuleux. C’est qu’à l’école on est pressé : il y a tant de choses à apprendre ; il y a tant de choses « dont il faut avoir entendu parler » !

Tout pédagogue à qui l’on demandera pourquoi ses pareils répandent avec si peu de discrétion des vérités de tout ordre, répondra qu’en enseignant l’histoire, la littérature, les sciences naturelles et les mathématiques on ne se propose pas avant tout de fixer définitivement dans les mémoires des faits et des noms importants, mais que ces leçons nombreuses doivent donner à l’esprit de l’enfant certaines qualités durables. Or, ce malheureux ne voit pas que la quantité inouïe des connaissances que l’écolier doit acquérir empêche absolument celui-ci d’améliorer la qualité de son cerveau. Occupé à écouter ses maîtres et à prendre des notes, le bon élève, en classe, s’interrompt de penser. À la maison il s’efforce d’apprendre ce que contiennent ses cahiers et ses livres.

À ce propos il faut dire qu’en dépit de tous les beaux discours qu’on a faits sur la liberté de l’écolier, beaucoup d’enfants, à notre époque, sont encore tenus de savoir répéter textuellement les phrases de leurs manuels. En outre, — et cela est également significatif, — beaucoup de maîtres, la plupart « tolèrent » chez leurs élèves cette passivité excessive. Que de fois j’ai observé des écoliers marmottant, avec la virtuosité d’un curé disant une messe, le paragraphe qu’ils devaient peut-être réciter en classe quelques heures plus tard. Ce bredouillement éducatif, que connaissent sans doute la plupart des parents, prouve bien que je n’exagère pas. Or si l’École voulait vraiment donner à l’enfant l’habitude de la réflexion elle lui demanderait de dire ce qu’il a appris en termes différents, — fussent-ils d’abord gauchement puérils, — de ceux qu’il a trouvés dans ses cours. Ce serait le seul moyen de reconnaître s’il comprend nettement les paroles qu’il prononce. Mais beaucoup de pédagogues apprécient davantage le zèle et la docilité de l’élève que son intelligence. La pensée libre de l’enfant, ce serait l’imprévu, ce serait le désordre.

En somme, l’enfant n’exprime presque jamais sa propre pensée lorsqu’il débite une phrase qu’il a lue dans un livre. En songeant à l’affreux verbiage qu’on exige de lui, on serait tenté de