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rents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Et dire que partout on prend des précautions contr les « tricheries » des écoliers !)

Mais l’École dispose d’un moyen plus sûr pour enlever à l’enfant sa sincérité.

Chaque élève, dans le cours de ses études, entend ses divers professeurs traiter les sujets les plus variés, sujets dont il aura lui-même à dire quelques mots lorsqu’on l’interrogera. Ainsi, toutes les semaines, il débite en classe des propositions erronées et d’autres qui sont exactes. Mais sa conviction n’anime pas d’avantage celles-ci que celles-là. Seule, parfois, la note qu’il obtient lui permet de reconnaître si ses réponses furent satisfaisantes ou mauvaises. Et, en fait, quelle bonne raison ce gamin a-t-il de situer Pernambouc sur la côte brésilienne plutôt que sur les confins du Sahara, si, depuis deux ou trois mois, il n’a plus entendu parler de cette ville ? Presque toutes les vérités qu’on l’oblige de connaître sont pour lui incontrôlables. Car si ses maîtres lui donnent de mauvaises notes lorsqu’il ne sait pas répéter les phrases qu’il a lues dans ses cahiers, ils tolèrent par contre qu’il énonce des propositions de l’exactitude desquelles il ne sait absolument rien et d’autres dont il ne comprend pas même le sens. Il doit croire ce qu’on lui dit et ne pas l’oublier. À l’école le vrai et le faux n’éveillent pas dans l’enfant des sentiments contraires. Ce qu’il affirme lui est indifférent. Et, parce que son verbiage d’écolier est à peu près sans relation avec ses préoccupations habituelles, avec sa pensée intime, avec sa vie profonde, ses paroles, plus tard, exprimeront rarement ce qu’il aura lui-même vu ou senti. Avec une aisance toujours plus grande il trouvera les phrases neutres qu’on attend de lui comme de chacun. Causez un instant avec ce notaire ou avec ce directeur d’usine. Si vous abordez quelque question générale ne touchant pas de près à leurs petites affaires ils émettront peut-être un avis différent du vôtre et vous aurez un instant l’espoir d’entendre une objection nouvelle à vos idées. Mais si vous défendez votre opinion avec fermeté, ces messieurs deviendront tout de suite conciliants et ils vous laisseront bientôt voir qu’au fond « ils s’en fichent ». Phénomène curieux : en faisant débiter à ses élèves un nombre trop considérable de vérités, l’École prépare des hommes enclins au mensonge.

Ce n’est pas dans les moments mêmes où il a quelque chose à dire que l’enfant apprend à bien parler. Ses maîtres ne consi-