Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



attitude correcte ; et, en attendant le moment de la récréation, toujours trop courte, il rêvasse. On comprend que l’effort d’écouter est considérable si l’on imagine la série de frottements et de chocs, dont on entrave la fuite de sa propre pensée pour suivre celui qui parle. Quelle que soit la valeur de cette comparaison, l’inattention habituelle des écoliers est un fait certain. Le silence qui remplit parfois certaines salles d’école peut faire illusion ; et le passant qui dans ces moments-là pourra du dehors observer discrètement les profils attentifs des élèves sera émerveillé (à moins que la tranquillité absolue de ces êtres jeunes ne lui soit pénible). Mais que cet observateur attende une minute ou deux. Si un crayon tombe sur le plancher, si quelque éternuement se produit, aussitôt des têtes se tourneront ; des gaîtés contenues seront sur le point d’éclater. Que les événements les plus minuscules puissent distraire ces enfants, cela ne montre-t-il pas combien peu ils sont intéressés par ce qu’ils écoutent ?

Le malheur est qu’on ne s’applique pas à émerveiller l’écolier. On y parviendrait si facilement ! Qu’on lui donne l’ « illusion » que la vie est belle ; ce sera moins dangereux que de lui persuader insensiblement que le travail est une chose ennuyeuse. Pour l’armer contre la paresse et tous les autres vices on lui enseigne très tôt la kyrielle de ses devoirs. Mais est-ce bien utile ? Comme on ne s’applique pas à le prendre tout entier par des exercices ou des jeux attrayants, mais qu’il est d’ordinaire inactif, il résistera mal à certaines sollicitations mauvaises.

L’enfant s’ennuie encore pour cette raison que toute sa vie d’écolier se passe dans une salle monotone. Ce décor a pour lui quelque chose de terriblement « déjà vu ». On s’efforce d’égayer les murs en y accrochant quelques tableaux : les champignons comestibles, les oiseaux utiles ou, peut-être, le golfe de Naples ; mais ces planches perdent bientôt tout leur prestige. Je dois reconnaître aussi que le maître fait parfois circuler dans les bancs quelques échantillons du monde physique, destinés sans doute à prouver que ce monde existe ; mais l’intention de ces choses dans le royaume du Mot est très rare. Et d’ailleurs on se lasserait de regarder des échantillons comme on se lasse vite d’écouter. Ceux qui ont pour mission de nous instruire et de nous révéler l’univers commencent par nous enfermer durant des années dans un local d’où l’on n’aperçoit rien de ce qui est à la surface du globe. Ajoutons que les bons élèves sont ceux qui ne regardent pas par la fenêtre. Ce qu’on présente à l’enfant, c’est l’univers en formules, c’est l’immensité en petit. Des an-