Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Vieux se coucha en disant : « On va voir demain comment ça va marcher », puis le Temps se coucha lui-même plein de soins quotidiens : deux ou trois larges secousses que le Vieux donnait au lit avant d’y trouver sa place et le ronflement de Jean qui montait comme une conscience qui n’a pas à se cacher. La Nuit dormait en entier, dans la maison, dans les rues, sous le ciel et semblait une halte en attendant qu’on reprît la vie comme elle avait commencé. La Vieille dans son coin se remuait avec du silence, imprimait à son corps des girations pour ne pas troubler le sommeil qui l’entourait. Vers une heure, pourtant, une chose lui échappa : c’étaient des soupirs un peu plus hauts qui s’éparpillaient d’abord, accrochaient quelque organe et puis s’étendaient. Et à deux heures le Vieux l’entendit pousser par trois fois une sorte de plainte : Hein ! hein ! hein !… Il demanda dans l’ombre : « Est-ce que tu es malade ? » Elle ne répondit pas. Alors il la toucha. Ce fut comme s’il ravalait son sang : elle ne bougeait plus ! Jean ronflait encore.

Deux jours plus tard, l’enterrement descendait la rue. Jean et le Vieux précédaient la rangée des enfants : Jacques et François, accompagnés de leurs femmes, et Marie avec son homme. La douleur était plus grande, s’accroissant de cela qui pouvait être un plaisir. Marie l’avait bien dit, la veille : « Nous voilà tous réunis. L’autre fois, c’était elle qui faisait la cuisine. — Ah ! ma pauvre amie, elle ne la fera plus maintenant », avait répondu le Vieux. Il y avait beaucoup de monde parce qu’elle était courageuse et parce qu’on savait que Jacques était mécanicien au chemin de fer. C’était un groupe noir et tassé qui marchait et faisait penser à un carré découpé en pleine petite ville de dimanche parmi des vêtements noirs et des bras ballants. Le Vieux gardait à la main son grand chapeau des jours de fête et s’en allait à la cérémonie nécessaire, sachant se tenir sous tous les coups. Jean le regarda : il avait la tête plate, presque battue, sous son front vide, les tempes avaient rentré et l’on sentait sa destinée. Il était né sans surprise pour descendre cette rue derrière un cercueil et sonner des sabots contre les pierres, pour porter des lunettes noires afin que l’on ne sût pas s’il pleurait ; et l’on ne pouvait pas s’étonner de Jean non plus