— Tu n’a pas besoin de dire ça. Laisse-le donc plutôt se coucher.
Le Vieux se rapprocha du bord, se souleva ; la Vieille pénétra derrière son dos, fit l’entrée dans les draps tout à côté du mur et dit :
— Fais-moi de la place.
Ce fut tout à fait simple : Jean se déshabillait pour avoir le lit chaud. Mais soudain, la Vieille se rappela :
— Hé là, mon petit ! Moi qui ne t’ai même pas demandé si tu avais faim.
— Ça, je m’y attendais, répondit Jean. Mais non, ma Vieille, j’ai mangé à l’auberge et peut-être mieux que toi, sans savoir.
Le Vieux réfléchit :
— Tu éteindras la lampe avant de te mettre au lit.
Une seconde après, la maison rentra dans l’ordre. Jean s’abattit comme une souche : le plein air lui avait gonflé la peau. La Vieille dormait comme le cresson, comme les champs dans la nuit. Le Vieux réfléchissait encore, sentant deux cœurs sous son toit. Jean se mit à ronfler : pauvre enfant, il devait être las et puis toute sa soirée ! car on a beau dire, il avait eu de l’inquiétude. Le Vieux ne broncha pas et pourtant il se souvint que la Vieille dormait en chien de fusil. Il ne ferma pas l’œil de la nuit. L’une tenait trop de place, l’autre ronflait trop fort, mais pas un instant, même dans sa pensée, il n’eut une plainte, un soupir. Elle, il l’aurait bien bousculée : tant pis ! il faut que chacun dorme. Vers cinq ou six heures il se leva et tâcha de ne pas faire trop de bruit avec ses sabots.
(À suivre.)Charles-Louis Philippe