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s’en imprégnaient et retombaient par tas. Il les sentit descendre. Les unes s’aplatissaient déjà, sur lesquelles les autres venaient choir, s’agitant encore, et il en tombait qui semblaient se poursuivre et agonisaient par couches. Les grands désirs du départ, les respirations de l’aller, les haltes grisantes des hommes libres et ce bonheur qui balance aux regards des voyageurs deux ailes blanches et les guide, tout cela semblait diminuer, rentrait en soi et se penchait sur sa tige comme un parterre que le temps a fané. Il se penchait lui même, il ne lui restait plus que la folie romantique de quelque Jésus ignoré, plus rien qu’un corps sur une pierre dans une nuit d’automne. La cabane bombait son maigre dos comme une arête, de terre et de bois, pareille à quelque misère dont on aperçoit la corde. Et il n’y avait pas même de quoi s’étendre pour dormir, et la nuit entrait par larges plaques, et l’esprit qui veillait la recevait ainsi. Et c’était on ne sait quel socialisme qu’adoptent les enfants et qui leur fait quitter la joie de vivre comme on jette sa poupée. Et il était tout petit, falot, débile, et le vent qui soufflait balançait ses pensées avant de les éteindre. Hi hi hi ! voici comment on pleure.

Il se leva, baissa la tête une dernière fois pour sortir. De chaque côté de la route les bois multipliaient l’ombre et s’enfonçaient en des profondeurs au bout desquelles on devinait tous les pays du vent. Il hésitait encore. Il regardait deux raisons et soupesait la honte d’un retour : « J’ai cru que la folie allait de l’avant et que les hommes étaient perdus », raconta-t-il plus tard. Tout d’un coup il fit demi-tour, lança sa secousse et partit : il était sauvé ! Il marcha longtemps, il respirait l’ombre de loin et marchait encore. C’est qu’il en avait fait, de la route ! Il était bien las, pourtant, mais il gardait une hauteur de la tête, donnait des narines et faisait tout entrer comme une bête qui sent l’écurie.

Il pouvait être une heure de la nuit, lorsqu’il arriva. Il cogna du bâton la porte et entendit la grosse voix : « Qui est là ? » Comme il criait : « C’est moi ! » on ouvrait déjà. Le Vieux était en chemise, ses gros sabots à ses pieds, son bonnet de coton bleu sur la tête. Il n’attendit pas que Jean fût entré, passa ses deux bras à ses épaules et, dans l’ombre, chercha sa bouche. Puis il dit :