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cette issue désespérée. C’est une simple et facile formalité à remplir. Ils rassemblent en un petit tas, au milieu du cachot où ils sont enfermés, ou bien sur le dallage d’une chambre, quelques brindilles, les morceaux d’un balai ou, le plus souvent, la paille d’un traversin, y mettent le feu, puis, font constater par un sergent de la chiourme leur… tentative volontaire d’incendie ; ils sont traduits devant le conseil de guerre qui — sans être dupe toutefois — complète la formalité de l’acte accompli par la formalité de la condamnation : vingt ans de travaux forcés ordinairement. Et les bagnes de Nouméa et de la Guyane comptent un forçat de plus.

La peine des travaux publics étant une peine militaire, l’exclusion définitive de l’armée à la suite d’une condamnation infamante interrompt définitivement, en droit, la peine militaire, et c’était là, autrefois, pour les condamnés à des peines militaires de longue durée, un facile moyen de mettre un terme à leurs souffrances. La peine civile de la réclusion, entraînant la dégradation militaire et par conséquent l’exclusion de l’armée, était la peine ordinairement choisie par les condamnés militaires ; le simulacre d’un acte puni de réclusion par le code pénal ou par le code de justice militaire suffisait : c’était le plus souvent un simulacre de vol avec effraction dans l’intérieur de l’établissement ou encore un faux apposé sur une pièce quelconque, dérobée dans un quelconque bureau du greffe, ou bien encore une insulte à l’adresse du drapeau, acte puni de réclusion par le code de justice militaire ; et le condamné qui avait à purger par exemple une cinquantaine d’années de travaux publics, pouvait ainsi, par une condamnation à la peine de réclusion, être libre à l’expiration de cette peine, c’est-à-dire après dix ans, cinq ans même, quelquefois moins, de détention dans une maison centrale — puisque la dégradation militaire l’avait exclu de l’armée, et conséquemment de la participation à la juridiction et aux peines militaires. Mais le nombre considérable de faits semblables portés devant le conseil de guerre donnèrent l’éveil, et depuis quelques années, les condamnés militaires à une peine infamante sont renvoyés, à l’expiration de cette peine, dans l’établissement de détention de Coléah (province d’Alger), spécial aux exclus, où ils accomplissent le nombre d’années qu’ils avaient à purger de peines militaires avant leur condamnation à la peine de réclusion.

Il est encore un autre moyen-échappatoire courant. C’est celui de la condamnation à la peine de mort, basé sur l’espoir en la clémence du chef de l’État. La peine de mort prononcée par les conseils de guerre est commuée souvent en peine de détention à temps (cinq, dix, quinze ou vingt ans, suivant le décision du chef de l’Etat). Cette peine de détention est subie à la maison centrale de Clairvaux, où un quartier spécial est réservé aux condamnés à mort militaires dont la peine fut commuée ; à l’expiration de leur peine de détention, les militaires sont remis définitivement en liberté. Pour obtenir cette condamnation à mort, une voie de fait sur un supérieur est nécessaire ; mais les gradés de la chiourme ayant, en cas de voie de fait, droit immédiat de mort sur les détenus qui