Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi leurs atrocités. Indépendamment des peines prononcées par les conseils de guerre dont les condamnés militaires continuent à être toujours justiciables, la seule punition qui puisse être infligée aux détenus des prisons militaires, des pénitenciers et des ateliers de travaux publics est la punition de cellule. La moindre faute, la moindre négligence peut être punie aussitôt de plusieurs jours de cellule, et je me souviens encore de ma première stupeur, alors que, campé avec les autres chasseurs d’Afrique, mes camarades, près du pénitencier militaire de Douëra où nous faisions étape, je vis un adjudant de la chiourme de ce pénitencier infliger quinze jours de cellule à un détenu militaire qui s’était écarté de son chantier proche pour venir se rafraîchir à l’abreuvoir de notre campement. Je devais être initié d’autre façon, plus tard,

Un sergent ordonne quatre jours de cellule ; un sergent-major et un adjudant peuvent porter cette punition à huit jours et à quinze jours, un lieutenant à trente jours et le commandant de l’établissement à soixante jours. La nourriture quotidienne des punis de cellule se compose exclusivement de deux « quarts » de pain et de deux litres d’eau. Tous les quatre jours, il leur est donné une gamelle de bouillon. Et ils restent des semaines à ce régime, dans la solitude épouvantable des cachots militaires, sans air et sans lumière, privés d’un sommeil qui se refuse au bout de quelques jours.

Peu à peu tous les sentiments s’éteignent, les haines même s’apaisent et il ne reste plus que l’instinct de conservation qui se précise dans la sensation affreuse de cette faim qui vous ronge, sans trêve, et de la santé qu’on sent fuir. Quelquefois, des cris, des rugissements partent d’une cellule ; des sergents accourent, revolver au poing ; on ouvre la porte du cachot, et l’homme apparaît, les vêtements en lambeaux,

    cinq heures du matin, au moment où nous allions lever le camp pour reprendre notre route vers le sud, je réussis à m’évader. Exténué par la dysenterie qui me minait depuis plusieurs jours, ayant tout à souffrir de mes chefs, c’est sur moi, faible et grêle, que s’acharnait le lieutenant Quantin, et il ne se passait pas de journée, sans que je fusse attaché à la crapaudine ou frappé. C’est pourquoi j’avais préféré fuir afin d’arriver jusqu’à Laghonat où je voulais déposer une plainte entre les mains du commandant supérieur. Le malheur voulut que je me trompasse de route. Au lieu de revenir sur mes pas, je me perdis et filai sur l’étape suivante. Il y avait à peine une heure que je marchais, quand j’entendis derrière moi le bruit de la colonne en marche ; je me cachai dans une touffe d’alfa ; tout à coup, le galop d’un cheval appela mon attention. Le lieutenant, bride abattue, arrivait sur moi, revolver au poing. Je dus me rendre et expliquer au lieutenant Quantin les raisons de mon évasion, et mon intention de me rendre à Laghouat, où je voulais implorer la protection du commandant supérieur. Une colère folle s’empara de l’officier. — Ah ! tu veux me faire arriver des histoires, s’écria-t-il. Eh bien ! apprends que les gens qui me veulent du mal, je les supprime, et c’est pourquoi je vais te tuer comme un chien !… Je crus ma dernière heure venue ; je tombai à genoux ; et contre ma tempe je sentis le froid du canon de l’arme… Mais soudain, derrière un accident de terrain un chant retentit. C’étaient les soldats du train, qui, en avant de la colonne, arrivaient avec les mulets porteurs des bagages. J’étais sauvé. — Tu as de la chance, me dit celui qui allait être mon assassin. Mais nous nous retrouverons, et tu ne m’échapperas pas… »

    Huit jours après, Fourmann était en prévention de conseil de guerre pour refus d’obéissance, et le conseil de guerre le condamnait à deux années de prison.