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dini, au camp d’El Affroun, faisant déshabiller complètement les hommes punis de son détachement, et leur faisant passer la nuit, en pleine neige d’hiver, attachés aux roues d’un camion. Et cet autre sergent qui, au camp de Bou-Guezoul, refuse de reconnaître malade le nommé Cérié[1], le fait déshabiller par les tirailleurs indigènes de garde, lui met les fers aux pieds et aux mains, et le laisse ainsi quarante-huit heures au milieu d’un nid de fourmis. Puis, encore, au camp de Bellevue, le sergent Romani, faisant attacher au bord de la feuillée où viennent évacuer les hommes du camp le nommé Amache, pris par les fièvres au chantier ; durant la nuit, Amache meurt là ; le médecin-major de Baghar ne consent qu’après de longs pourparlers à donner le permis d’inhumer. Et le sergent Sorba, chef d’un détachement des environs de Bou-Guezoul, qui le soir, à la rentrée au camp après le travail de la journée, fait sortir des rangs ceux des hommes que l’entrepreneur lui a signalés comme ayant montré le moins d’ardeur au chantier, les prive du repas du soir malgré les dix-huit heures d’effroyable tâche qu’ils viennent d’accomplir, contraint chacun d’eux à creuser devant les tentes une fosse de six pieds de profondeur, les fait mettre ensuite à la crapaudine par ses tirailleurs et, à l’aide de cordes, fait descendre les misérables au fond des fosses qu’ils viennent de creuser et où ils demeurent jusqu’au lendemain matin, à l’heure qu’il faut repartir pour le chantier.

Indéfiniment pareils, de tels faits abondent, quotidiens, aussi effroyables, aussi atroces, issus des mêmes imaginations, sans que les bourreaux aient à craindre des réclamations, — réclamations que les hauts chefs, d’ailleurs, n’écouteraient pas, et que les plaignants, en tous les cas, expieraient de façon cruelle[2].

Mais ce sont là tous moyens extra-réglementaires. Les punitions portées au règlement sur les établissements de détention militaires ont

  1. Car il n’y a pas de médecin attaché à ces camps. La visite médicale est passée par le sous-officier, chef de détachement.
  2. Malgré l’étroite surveillance qui entoure les camps de condamnés militaires, et malgré les dangers encourus, il arrive quelquefois qu’un détenu parvienne à échapper aux bourreaux par la fuite. De rapides recherches sont faites, l’homme est déclaré déserteur, et tout est dit Mais il arrive aussi quelquefois que des disparitions fortuites, qualifiées désertion par la chiourme, soient commentées diversement par les camarades du disparu : le soir, sous la tente des accusations très nettes sont formulées à voix basse, apparentant la disparition de l’homme et tel coup de feu lointain, entendu, au moment présumé de la disparition, à quelque distance du chantier ou du camp. Mais ce ne sont là que des on-dit, et, malgré les affirmations des détenus militaires qui, au mois de décembre dernier encore, me narraient de semblables suspectes disparitions, citaient des faits et des noms, je veux rien avancer, les preuves manquant, et je sais avec quelle aisance, dans les milieux militaires, s’accréditent les plus extraordinaires légendes.

    Avec certitude — et pour cause — je citerai néanmoins le fait suivant. Je laisse la parole au principal intéressé, le soldat Fourmann, de la 4e compagnie de discipline, qui faisait partie de la colonne, composée de disciplinaires et de condamnés de travaux publics chargée d’établir la ligne télégraphique entre Gardaïa et les postes avancés du sud algérien. La colonne des disciplinaires était commandée par ce fameux lieutenant Quantin dont la presse eut à s’occuper à diverses reprises… « À l’étape de Bou-Trifine, dit Fourmann, vers